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Mémoire de recherche appliquée 
Présenté devant l’Ecole de Commerce 
Européenne pour l’obtention du 
Diplôme de l’ECE 
N° d’ordre : 331067500 
La réappropriation des mèmes internet 
dans la publicité est-elle légitime ? 
Elodie BOUILHOT 
Promotion 2014 
ECE | Etablissement reconnu par l’Etat | Diplôme visé par l’Etat 
Groupe INSEEC
Remerciements 
Je souhaite remercier en premier lieu l’équipe pédagogique de l’Ecole de 
Commerce Européenne de Lyon, pour l’enseignement apporté durant ces quatre 
années études. Mon cursus au sein de l’ECE m’a énormément appris, que ce soit 
sur le plan académique, professionnel ou personnel. 
Je remercie également mon directeur de mémoire, M. Serge Kochen, pour sa 
disponibilité, sa patience et ses conseils avisés. 
J’adresse de chaleureux remerciements à ma famille et mes amis, pour leur 
soutien tout au long de ces six mois de travail, leurs encouragements, et aussi 
pour leurs critiques. 
Ensuite, je remercie sincèrement chacun des 305 internautes ayant pris le temps 
de répondre au questionnaire que j’ai posté en ligne : cela m’a réellement permis 
d’avancer dans ma réflexion, et certains témoignages ont été particulièrement 
enrichissants dans ce sens. 
Enfin, je remercie toutes les autres personnes ayant participé, de près ou de loin, 
à la rédaction de ce mémoire. 
2
3 
Table des matières 
Remerciements 
Table des tableaux et des figures 
Introduction 
I) Les mèmes et la culture web 
1) Les mèmes 
a. Evolution du concept 
i. Définition de Dawkins 
ii. Définition du mème internet 
iii. Le Web 2.0 renforce le mème 
b. De l’underground au mainstream 
i. Naissance sur 4chan 
ii. Passage du mème internet dans la culture populaire 
2) La culture web 
a. La culture 4chan, et son impact sur la créativité 
i. Anonymat 
ii. Ephémère 
b. Mèmes : représentatifs d’une culture web ? 
i. Culture snack 
ii. Culture du LOL 
II) Les mèmes internet dans la publicité 
1) L’attractivité des mèmes internet pour les marques 
a. Une opportunité alléchante… 
i. Attrait du mème internet pour les marques 
ii. Une cible particulière 
b. Une stratégie à laquelle peu se risquent 
2) Exemples de mèmes internet dans la publicité 
a. Des marques qui surfent les mèmes 
i. Exemple d’Oasis 
ii. Exemple de Wonderful Pistachios 
iii. Exemple de Glacéau 
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4 
b. Un même mème détourné par plusieurs marques : le 
« Double Rainbow » 
c. Quand les mèmes internet sortent de la toile 
3) Analyse de la stratégie 
a. Communication digitale par le viral 
i. Communication digitale 
ii. Marketing viral 
b. Brand content, native advertising et newsjacking 
III) Légitimité 
1) Légale 
a. Flou juridique : copyright et droit d’auteur 
b. Fair use et réappropriation commerciale 
i. Notion de fair use 
ii. Réappropriation commerciale 
2) Aux yeux du public : image de marque 
a. Méthodologie et typologie 
i. Justification du questionnaire 
ii. Typologie de la communauté 
b. Réactions aux exemples donnés 
i. Réactions au spot Wonderful Pistachios 
ii. Réactions au spot Oasis 
iii. Analyse générale 
c. Recommandations 
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes 
1) Annexe n°1 : Règles de l’Internet 
2) Annexe n°2 : L. 123-3 du Code de la propriété intellectuelle 
3) Annexe n°3 : Extrait de la plainte Scribblenauts / Torres et Schmidt 
4) Annexe n°4 : Questionnaire 
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Table des tableaux et figures 
1) Âge des individus interrogés 
2) CSP des individus interrogés 
3) Segmentation des individus selon le temps passé sur internet 
pour leur usage personnel 
4) Segmentation des individus passant plus de 2 heures 
quotidiennes sur internet, selon leur utilisation de 4chan et des 
sites web d’humour 
5) Commentaires sur la publicité Wonderful Pistachios 
6) Impact de la publicité sur l’image de marque de Wonderful 
Pistachios 
7) Impact de la publicité sur l’image de marque d’Oasis 
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Introduction 
Il existe en France près de 55 millions d’internautes, ce qui représente 83 % de la 
population. 68 % des français sont également utilisateurs des réseaux sociaux, et 
un internaute français passe en moyenne 4h07 par jour sur internet.1 Aujourd’hui, 
quelqu’un qui n’utilise pas internet est quelqu’un d’à part. 
Les marques aussi se digitalisent. Elles ont compris l’importance qu’internet jouait 
dans nos vies à tous et y ont vu une opportunité, notamment pour renforcer la 
proximité avec leurs consommateurs. Car au-delà d’être une plateforme à 
bannières, pop-ups et interstitiels, internet est surtout un formidable moyen de 
communiquer et de créer du lien. 
La culture web (ou culture internet) découle de cette omniprésence de la 
technologie et d’internet dans nos vies quotidiennes. Elle réfère à une culture dans 
laquelle les interactions humaines se produisent principalement via des moyens 
intangibles. Et, comme n’importe quelle autre culture, elle est codifiée : par des 
normes, des rites, un langage particulier. Elle soude ses adhérents avec des 
valeurs communes comme la dérision, l’ironie, l’anonymat, le partage. 
La meilleure preuve de l’explosion de cette culture web est l’apparition du 
phénomène des mèmes internet. Un mème internet est un élément culturel – 
souvent de source anonyme et collective – posté sur internet, puis partagé par de 
nombreux internautes, détourné et parodié. Des sites web comme 4chan donnent 
naissance aux mèmes internet, qui, grâce à la démocratisation de la culture web, 
sont partagés et détournés en grande envergure sur d’autres sites internet, 
notamment les réseaux sociaux. 
La culture web est globale, et rassemble des individus venant des quatre coins du 
globe et ne parlant pas nécessairement la même langue. Les marques 
s’intéressent de plus en plus à cette culture et à ses phénomènes, notamment 
celui des mèmes internet. Aujourd’hui, certaines se réapproprient des 
phénomènes internet et les utilisent en tant que contenu dans leurs publicités. 
1 Etude de We Are Social Singapore, janvier 2014 : http://www.blogdumoderateur.com/chiffres- 
2014-mobile-internet-medias-sociaux/ 
6
L’objectif de ce mémoire est donc de répondre à la question suivante : La 
réappropriation de mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ? La réponse 
à cette question s’articule deux axes : est-ce que le contexte juridique autour des 
mèmes internet permet aux marques de les utiliser à des fins commerciales ; et 
quel effet cette réappropriation a-t-elle sur l’image de marque. 
La première partie sera consacrée à l’étude du phénomène des mèmes internet et 
de la culture web qui les entoure. Ainsi, j’expliquerai l’évolution de la définition et 
du concept des « mèmes « avec l’arrivée d’internet, ainsi que leur 
démocratisation depuis l’avènement des réseaux sociaux. J’expliquerai également 
l’importance de l’anonymat et de l’éphémérité dans internet, ainsi que leur impact 
sur la créativité. Enfin, j’analyserai en quoi les mèmes internet sont représentatifs 
d’une véritable culture web. 
La deuxième partie traitera de l’utilisation de mèmes internet dans la publicité. En 
premier lieu, j’expliquerai pour quelles raisons cette pratique peut sembler 
alléchante pour les marques, mais aussi pourquoi elles sont encore peu à se 
risquer sur le segment. Ensuite, j’analyserai différents exemples : les cas d’Oasis, 
Wonderful Pistachios, Glacéau seront notamment traités. Finalement, j’expliquerai 
à quels types de stratégies de communication cette pratique peut se rattacher. 
La troisième partie sera consacrée à la légitimité qu’ont les marques à se 
réapproprier les mèmes internet. En premier lieu, la question sera d’ordre légal : 
quel est le statut juridique d’une mème internet, et une marque peut-elle s’en 
servir à des fins lucratives ? Ensuite, j’analyserai l’impact d’une telle pratique sur 
l’image de marque, et la légitimité perçue par les internautes. Enfin, des 
recommandations seront données : cette partie sera une sorte de guide pour 
annonceurs ou publicitaires qui décideraient de capitaliser sur le phénomène des 
mèmes internet. 
7
I) Les mèmes et la culture web 
8 
1. Les mèmes 
a. Evolution du concept 
L’expression Mème internet est le résultat de la traduction de l’expression anglo-saxonne 
« Internet Meme ». Pour expliquer ce phénomène, il faut d’abord 
commencer par donner une explication du terme « mème » en lui-même. 
i. Définition du mème selon Dawkins 
Le biologiste britannique Richard Dawkins, dans son ouvrage « Le Gène égoïste » 
(1976)2, est le premier chercheur à énoncer cette notion de mème, terme qui 
provient d’une association entre gene (de l’anglais) et mimetis (du terme grec 
imitation). Le terme en lui-même a également l’avantage de rappeler les mots 
« memory » ou encore « même » en français. 
Selon Dawkins, un mème est « une unité d’information contenue dans un cerveau, 
échangeable au sein d’une société ». C’est tout ce qui est transmis d’un humain à 
un autre, mais qui n’est pas biologiquement « connecté » au comportement 
humain. Cette notion fait donc référence à un élément culturel reconnaissable (par 
exemple : une croyance, un concept, une information, un culte…) transmis et 
reproduit à l’identique d’un esprit à un autre. La chanson « Joyeux anniversaire », 
les dictons, les proverbes, les jingles, les théories de complots… sont eux-mêmes 
des exemples de mèmes puisque repris et imités dans une large mesure. 
Un mème est donc une idée, un comportement, ou un style qui se propage d’une 
personne à une autre au sein d’une même culture. Il transporte des idées 
culturelles, des pratiques, des symboles ou des pratiques à travers un discours, 
un geste, un rituel, ou n’importe quel type de phénomène avec un thème imitable. 
Betsy D. Gelb (1997)3 ajoute à la définition de Dawkins l’idée que les mèmes sont 
des idées qui s’auto-répliquent à travers le temps et l’espace, sans effort 
particulier de la part de l’auteur originel. 
2 DAWKINS Richard, « The Selfish Gene », Odile Jacob, 1976 
3 GELB D. Betsy, « Creating ‘Memes’ while creating advertising », Journal of advertising research, 
1997
Les gènes sont à la génétique ce que les mèmes sont à la culture. Alors que les 
gènes se répandent verticalement (de génération en génération), les mèmes se 
répandent horizontalement (au sein d’une société). Dawkins a identifié les trois 
caractéristiques importantes que possède un mème qui rencontre du succès : la 
fidélité, la fécondité et la longévité. La fidélité réfère à la capacité que les mèmes 
ont d’être transmis d’un esprit à un autre tout en restant relativement intacts. Les 
mèmes ayant du succès le doivent au fait qu’ils soient mémorables, et pas 
vraiment parce qu’ils sont importants ou utiles. La fécondité fait référence au taux 
auquel une idée est copiée et partagée. Plus un mème est propagé rapidement, 
plus il a de chances d’attirer une attention soutenue et d’être répliqué et 
redistribué. Un mème est prédisposé à réussir s’il est approprié à la culture dans 
laquelle il évolue : s’il est pertinent par rapport aux intérêts et valeurs des 
personnes visées, alors il bénéficie de conditions idéales pour accrocher son 
public et être rapidement transmis d’une personne à une autre sans être entravé 
ou ralenti par des filtres mentaux ou d’autres formes d’immunités culturelles. La 
longévité fait simplement référence au fait que plus un mème survit, plus il peut 
être copié et transmis à de nouvelles personnes (Knobel et Lankshear, 2007)4. 
Les mèmes évoluent à travers des processus de variation, de compétition, de 
mutation, ou encore d’hérédité. Chacun de ces éléments font d’un mème son 
succès de reproduction. Ils se propagent à travers le comportement qu’ils 
génèrent dans leurs hôtes : ainsi, les mèmes qui se propagent moins pourront 
disparaître, alors que d’autres pourront survivre et évoluer. Dawkins a relevé les 
trois conditions qui doivent exister pour que la survie d’un mème ait lieu : la 
variation (ou l’introduction de changements aux éléments existants), l’hérédité ou 
la réplication (la capacité à créer des copies de ces éléments), et la capacité à cet 
élément à être plus ou moins adapté à son environnement qu’un autre. Selon 
Dawkins, le processus d’évolution a lieu quand ces trois conditions co existent. 
Ainsi, il considère les mèmes comme un réel phénomène sujet aux lois de la 
sélection naturelle au sens Darwinien. 
Dans le dernier chapitre du livre « Le Gène égoïste », Dawkins a utilisé la 
métaphore du virus pour définir un mème. Et c’est exactement ce qu’il en est. La 
4 KNOBEL Michele, LANKSHEAR Colin, « A New Literacies Sampler », Peter Lang Publishing, 
2007, p.199-227 
9
définition que nous pourrions déduire de tout cela est alors excessivement simple : 
un mème, c’est ce qui devient viral. 
10 
ii. Définition du mème à l’heure d’internet 
Le terme a été récemment réapproprié pour nommer des phénomènes viraux sur 
internet comme Grumpy Cat5, Socially-Awkard Penguin6 ou encore Overly- 
Attached Girlfriend7 : des contenus qui passent d’une adresse IP à une autre, 
donc d’un cerveau à un autre, d’une manière qui – au sens large – pourrait être 
appelée imitation ou mimétique. 
Le terme Mème internet est ainsi utilisé pour faire référence à un phénomène 
internet où quelque chose - une idée, un art, une blague, une personne -, passe 
de l’inconnu le plus complet à une grande popularité très rapidement. Knobel et 
Lankshear (2007) définissent les mèmes internet comme des modèles contagieux 
d’information culturelle qui passent d’un esprit à un autre et façonnent les 
mentalités et comportements d’un groupe social. Similairement, Coleman (2012)8 
les définit comme des images, des vidéos, des slogans (etc.) viraux, sous 
constante modification des utilisateurs, avec une propension à voyager aussi 
rapidement qu’Internet le permet. 
Les mèmes internet sont des détournements d’idées originales : évoluant dans 
une culture de l’anonymat qui encourage la créativité et la participation, ils sont 
constamment repris, modifiés, réappropriés, parodiés. Le fait que les idées 
originales soient dénuées d’auteurs officiels les rend susceptibles d’être modifiées 
librement. Ainsi, au lieu d’évoluer dans une forme de sélection naturelle 
darwinienne, les mèmes internet sont délibérément modifiés par la créativité 
humaine. Contrairement à la définition originale du mème de Dawkins, il n’y a 
dans ces mèmes aucune volonté de copier exactement l’idée, mais celle de la 
modifier. 
Ainsi, comme le soulignent Knobel et Lankshear, la définition du mème selon 
Dawkins doit être réajustée. La notion de fidélité est à nuancer, puisque la plupart 
5 Grumpy Cat : http://knowyourmeme.com/memes/grumpy-cat 
6 Socially Awkward Penguin : http://knowyourmeme.com/memes/socially-awkward-penguin 
7 Overly Attached Girlfriend : http://knowyourmeme.com/memes/overly-attached-girlfriend 
8 COLEMAN E. Gabriela, « Phreaks, Hackers and Trolls », New York University Press, 2012
des mèmes internet ne restent pas intacts au fur et à mesure qu’ils sont transmis. 
Alors que l’idée du mème en elle-même reste relativement intacte, son 
« véhicule » est souvent changé, modifié, mixé avec d’autres ressources. Et ces 
mutations aident souvent le mème dans sa fécondité : les internautes sont incités 
à y contribuer en ajoutant leur propre version. Le concept de fidélité doit donc 
inclure le remix, la modification comme une pratique associée à de nombreux 
mèmes et qui permet d’appuyer leur longévité. Une autre différence entre le mème 
internet tel qu’il est expliqué aujourd’hui et le mème selon la définition de Darwin 
est que dans la mémétique, on parlait d’un mème en tant qu’unité abstraite. 
Aujourd’hui, un mème a tendance à être un contenu audiovisuel observable, 
comme une vidéo ou une image. 
Pour résumer toutes ces visions et ces définitions, nous pouvons dire qu’un mème 
internet est une idée, simple, propagée à travers le web. Cette idée peut être sous 
différentes formes : un site internet, un hashtag, un personnage, une expression, 
une vidéo, une image… Ce mème sera propagé par plusieurs personnes par le 
biais des réseaux sociaux, des messageries instantanées, des sites web 
d’humour, et d’autres services internet. 
11 
Typologie des différents mèmes internet 
Limor Shifman dans « Memes in Digital 
Culture »9 a analysé plusieurs mèmes 
internet et en a conclu qu’il en existait 9 
genres différents. Elle explique également 
que chaque type de mème implique un 
niveau différent de compréhension de la 
sous culture digitale des mèmes internet. 
Les différents genres sont donc : 
Un exemple du mème « planking » 
Les réactions Photoshop : le principe de reprendre l’élément important du mème 
original pour le placer dans différents contextes. 
9 SHIFMAN Limor, « Memes in Digital Culture », Massachussetts Institute of Technology, 2014
Les « photos fads » : des mises en scènes de personnes imitant une position ou 
une action spécifique dans différents contextes, dans le but de poster la photo sur 
le web. Par exemple : le planking, où de nombreuses personnes se sont 
photographiées dans la même position (voir photo) dans des endroits incongrus. 
Les flashmobs : rassemblement d’inconnus dans un espace public, qui font 
soudainement et simultanément un acte particulier, avant de quitter la scène. 
Les lipdubs, ou la synchronisation des lèvres sur une musique donnée. 
Les « misheard lyrics » : un jeu sur la traduction phonétique de langues 
étrangères. Ces mèmes sont fait en transcrivant la phonétique des mots, 
indépendamment de leur sens, dans un but humoristique. Par exemple, la 
chanson « I’ve Got the Power » est devenue en allemand « Agathe Bauer ». 
Les faux trailers : de fausses bandes annonces de film, basées sur la réédition 
ou le remix de la bande annonce d’origine. Dans de nombreux cas, cela permet de 
mixer un film avec un autre d’un genre tout à fait différent (comme Brokeback to 
the Future : un mix entre Brokeback Moutain et Back to the Future. 
Les LOLcats : le terme sera expliqué en détails en I) 1. b. i. 
Les images macro : elles représentent la photo d’un 
personnage avec une légende superposée. Chaque 
personnage a sa propre symbolique : par exemple, le 
pingouin de Socially Awkward Pinguin est utilisé pour 
parler de situations sociales inconfortables 
(typiquement : « J’ai commencé à raconter une 
blague… mais j’en ai oublié la chute »), Scumbag Steve 
est un personnage qui agit toujours de manière 
irresponsable et immorale, Success Kid est utilisé pour 
parler d’une situation qui s’est mieux déroulée que prévue… etc. 
Les rage comics : ce sont des bandes dessinées d’apparence amateur, mettant 
en avant des visages associés à un comportement typique. Il existe par exemple 
le Forever Alone (un personnage triste, sans amis), Poker Face (il essaie de 
12 
Un exemple du Success Kid
cacher son embarras dans différentes situations gênantes), Troll Face (il aime 
ennuyer les gens), etc. 
13 
iii. Les mèmes : renforcés par le Web 2.0 
Dawkins expliquait que les mèmes qui rencontrent du succès partagent trois 
propriétés basiques : la fidélité, la fécondité et la longévité. Limor Shifman, dans 
son livre « Memes in digital culture » (2013) explique qu’avec internet, ces trois 
propriétés sont renforcées. La digitalisation permettant de transférer des 
informations sans aucune perte, les mèmes en ligne bénéficient d’une meilleure 
« fidélité » (c’est-à-dire, une meilleure capacité à être copiés) que s’ils étaient 
véhiculés par un autre média. La fécondité (le nombre de copies faites en une 
unité de temps) est également augmentée : internet facilite la diffusion rapide d’un 
message donné. Enfin, la longévité peut potentiellement augmenter elle aussi, 
parce que l’information peut être gardée indéfiniment dans des archives. 
Mais l’échelle, la précision et la portée de la diffusion des mèmes internet ne sont 
que le côté visible de l’iceberg au sujet de la congruence entre mème et internet. 
Le mème est le meilleur concept pour encapsuler certains des aspects les plus 
fondamentaux d’internet, en particulier de ce que l’on appelle la culture du web 
2.0. Les trois attributs attribués au mèmes sont particulièrement pertinents dans 
l’analyse d’une culture internet : la propagation graduelle d’individus à une société, 
la reproduction à travers la copie et l’imitation, et la diffusion via la compétition et 
la sélection. 
• Le partage et la fécondité 
Comme expliqué précédemment, les mèmes peuvent être compris comme des 
éléments d’information culturelle qui passent d’une personne à une autre, mais qui 
deviennent progressivement un phénomène social. Ils façonnent les mentalités, 
les comportements, les actions de groupes sociaux. Cet attribut est compatible 
avec la manière dont la culture a évolué depuis l’ère du Web 2.0, marquée par 
l’apparition de plateformes pour créer et échanger du contenu généré par 
l’utilisateur. Wikipédia, YouTube, Facebook… de nombreux sites sont basés sur la 
propagation de contenu par les utilisateurs, pour les utilisateurs (selon les mots 
d’Abraham Lincoln). Ces sites représentent également des voies express pour la
diffusion d’un mème : un contenu partagé par des individus sur les réseaux 
sociaux peut atteindre une dimension massive en seulement quelques heures. 
De plus, le simple fait de partager des mèmes est une activité désirée et valorisée 
socialement, puisqu’elle est associée avec ce que Nicholas John (2012)10 a 
identifié comme la principale caractéristique du Web 2.0 : le partage. En mettant 
des photographies en lignes, en mettant à jour un statut Facebook, en partageant 
une vidéo YouTube, en postant un tweet ou un commentaire sur Amazon : 
l’internaute partage, tant au niveau de la distribution, que de la communication. En 
partageant une vidéo drôle sur Facebook, l’internaute partage un élément culturel, 
et en même temps il exprime ses sentiments à son sujet. Et il anticipe le fait que 
les autres continueront à partager ce même élément. En d’autres mots : partager 
du contenu, ou partager des mèmes, est maintenant une part fondamentale de ce 
que les internautes vivent dans la « sphère digitale ». 
14 
• L’imitation et la fidélité 
Dans un contexte de communication orale, les mèmes sont entendus, compris, 
puis retransmis. Seulement, cela ne se fait pas sans transformation du contenu : 
un individu transmet un mème tel qu’il l’a compris, et tel qu’il peut l’expliquer. C’est 
le principe même du téléphone arabe, où l’information est graduellement 
transformée. Dans ce cas, les mèmes changent souvent de forme, et de contenu : 
il est, par exemple, quasiment impossible de raconter une blague en utilisant 
exactement les mèmes mots que ceux avec laquelle elle a été initialement contée. 
A l’ère digitale cependant, les individus n’ont pas à « repackager » les mèmes : ils 
peuvent propager un contenu tel qu’el en le partageant, envoyant un lien, ou en le 
copiant. Ce principe d’imitation renforce donc la capacité de fidélité d’un mème, 
bien que comme expliqué précédemment, les internautes ont tendance à modifier 
délibérément et créer leurs propres versions de mèmes internet, plutôt que de 
toujours simplement les copier. 
10 
NICHOLAS A. John, « Sharing and Web 2.0: The emergence of a keyword », Hebrew University 
of Jerusalem, 2012
15 
• La compétition et la longévité 
Avec le web 2.0, il est facile d’analyser quel mème a rencontré du succès ou pas, 
grâce aux données sur les sites internet comme le nombre de vues, le nombre de 
réponses, etc. Ainsi, l’information à propos de la compétition et du processus de 
sélection devient de plus en plus influente pour le processus en lui-même : avant 
de télécharger un album, de reproduire ou parodier une vidéo, les gens prennent 
en considération leur succès. 
b. Passage de l’underground au mainstream 
Les mèmes internet ont récemment monté en flèche. A l’origine des références 
vaguement obscures partagées par des communautés restreintes d’internautes 
(typiquement, les utilisateurs 4chan), ils ont entré la sphère globale d’internet. 
Comment sont-ils devenus si populaires, si mainstream ? 
i. L’origine des mèmes : l’obscur 4chan 
Créé en 2003 par Christopher Poole, 4chan.org est un imageboard en anglais. Un 
imageboard est un type de textboard (une sorte de forum de discussion anonyme) 
basé principalement sur le partage d’images. Le 
design du site va droit au but : les utilisateurs postent 
4chan, 
c’est 
: 
des images et les commentent à travers 49 
25 
« boards » (des catégories). Il n’est pas nécessaire 
millions 
de 
visiteurs 
par 
mois 
de s’inscrire ou de s’identifier d’une quelconque 
manière pour poster sur le site, aussi la création et/ou 
1 
million 
la participation à un sujet peut se faire de manière 
de 
posts 
par 
jour 
totalement anonyme : aussi la plupart des posts sont 
575 
attribués au même pseudo par défaut : Anonymous. 
millions 
de 
pages 
lues 
par 
mois 
Bien qu’il soit possible à un utilisateur de générer un 
tripcode (un système d’identification sans inscription), ce procédé est très mal vu 
par la communauté. De plus, les tripcodes peuvent être copiés, il est donc 
possible de retrouver plusieurs fois le même pseudo dans une même discussion 
sans que ce soit la même personne derrière.
Le site fut à l’origine construit afin d’être le support de discutions relatives aux 
mangas, aux animes, et dans l’ensemble à la culture japonaise. Les sujets 
abordés par les utilisateurs sont toutefois devenus si vastes que 57 imageboards 
sont aujourd’hui en activité, chacun avec un contenu et des règles spécifiques. Il 
existe par exemple des boards dédiés à la photographie, à la littérature, à la 
mode, aux jeux vidéo… mais aussi au contenu pour adultes (17 boards de ce 
genre sont d’ailleurs interdits aux mineurs). 
The Guardian décrit 4chan comme « à la fois brillant, ridicule et alarmant ». Le site 
bénéficie aujourd’hui de 25 millions de visiteurs unique chaque mois, d’en 
moyenne 1 million de posts créés chaque jour, et d’environ 575 millions de pages 
vues chaque mois. Cependant, le noyau dur du site, sur lequel environ 200 000 
messages sont postés chaque jour, est l’imageboard /b/ - Random. Il compte 16 
pages, avec 15 threads (fils de discussions) par page. Les threads sont 
automatiquement effacés soit parce qu’ils ont atteint la dernière page du board (ils 
remontent systématiquement en première page quand quelqu’un y poste un 
nouveau message), soit parce qu’ils ont atteint le seuil maximum de réponses (le 
fil est donc « non-remontable » : si long que l’on ne peut plus voir le post originel). 
Ce système encourage les utilisateurs à poster en permanence de nouveaux 
contenus, et il permet d’éviter tout archivage afin de maintenir un anonymat 
maximal. Ainsi, un thread peut rester visible de quelques minutes à plusieurs 
heures. 
Comme son titre le suggère, le board /b/ n’a aucun thème fixé et son contenu n’est 
pas structuré. De plus, à cause du nombre de posts chaque jour, il est quasiment 
impossible d’en réguler le contenu et d’éliminer les messages indésirables : c’est 
ce qui fait la mauvaise réputation du site, puisque l’on peut y retrouver de tout et 
n’importe quoi… y compris parfois du contenu illégal, pédopornographique, gore, 
haineux, etc. Cependant, si le site est assimilé par beaucoup comme les égouts 
d’internet, il est également décrit comme une formidable usine à mèmes. 
D’après Moot (alias Christopher Pool, le créateur de 4chan), tout le contenu né sur 
4chan qui a réussi à sortir du site et à devenir populaire vient de /b/. Bien que l’on 
ne manque pas d’exemples de mèmes créés sur /b/, peut être que le plus connu 
de tous est le phénomène des LOLcats. Ce phénomène est né de la création des 
16
Caturdays, où les utilisateurs postaient chaque 
semaine leur propre version d’un LOLcat : une 
image-macro (une image avec un texte superposé) 
à vocation humoristique avec une photo de chat, sur 
lequel était juxtaposée une légende délibérément 
mal orthographiée. Un autre exemple : Repensez à 
2007. Avez-vous déjà cliqué sur un lien YouTube et 
entendu de façon inattendue la chanson de Rick 
Astley « Never Gonna Give You Up »11 ? Si oui, 
vous faites partie des 20 millions de personnes à 
Exemple d'un LOLcat 
vous être fait rickrolled cette année-là. Les mèmes sur 4chan circulent largement, 
sont constamment modifiés, et réussissent l’exploit d’unir un groupe d’individus 
anonymes, qui autrement seraient dispersés et déconnectés. 
Les mèmes internet étaient, au début, réservés à la communauté restreinte des 
utilisateurs de 4chan : bien que viraux, ils n’atteignaient pas les internautes 
lambda, si bien que la connaissance des mèmes était un véritable signe 
d’appartenance à cette communauté et de crédibilité dans celle-ci. Aujourd’hui, 
une grande partie des internautes est conscient du phénomène des mèmes 
internet (sans toutefois nécessairement connaître le terme), notamment grâce à 
des sites web plus accessibles comme les réseaux sociaux, les sites web 
d’humour et les générateurs de mèmes. 
17 
ii. Le passage du mème internet dans la culture populaire 
Même si l’expression est paradoxale, on peut aujourd’hui parler d’une 
démocratisation des mèmes internet. Auparavant réservés à une communauté 
d’initiés, ils sont aujourd’hui connus par une large population et attirent l’intérêt. On 
peut expliquer cette expansion grâce à plusieurs raisons : l’apparition des 
générateurs de mèmes, et l’invasion des mèmes sur des sites plus grand public 
que 4chan. 
Il existe aujourd’hui de nombreux sites internet permettant de créer simplement un 
mème : quickmeme, memegenerator, ragegenerator, DIYlol… Ces sites 
11 Rick Astley – Never Gonna Give You Up https://www.youtube.com/watch?v=dQw4w9WgXcQ
contribuent à la popularité des mèmes puisqu’ils permettent à des individus de 
créer rapidement, gratuitement et simplement leurs propres versions d’un mème 
donné, à partir d’images macro directement disponibles sur le site. Les utilisateurs 
n’ont pas besoin de compétences en web ou en design, et peuvent donc aisément 
participer à la création et à la distribution de mèmes. Attirés par la possibilité de 
voir des mèmes devenir très populaires rapidement, les individus sont encouragés 
à créer les leurs, ce qui augmente la diversité et améliore le contenu des mèmes 
internet originaux. (Chen, 2012)12 Ces sites font également office d’encyclopédies 
des différents mèmes populaires des dernières années, ce qui contribue à leur 
longévité. 
Cependant, les générateurs de mèmes ne sauraient être la seule explication de 
l’ampleur que prennent aujourd’hui les mèmes internet, puisque les images macro 
sont loin d’être les seuls formats utilisés : comme expliqué précédemment, les 
mèmes peuvent être de toute nature (comme par exemple une vidéo, un hashtag, 
un slogan, une chanson…). 
4chan étant le lieu de naissance de la plupart des mèmes, ceux-ci sont partagés 
et modifiés à travers différents sites internet, les « meme hubs » d’après Limor 
Shifman (2014). Parmi eux se trouve Reddit, un site communautaire permettant 
aux utilisateurs de soumettre leurs liens et de voter pour les liens proposés par les 
autres utilisateurs. Ainsi, les liens les plus appréciés du moment se trouvent 
affichés en page d’accueil. Dans la même veine existe Tumblr, plateforme de 
micro-blogging qui permet à ses utilisateurs de poster vidéos, photos, textes, de 
s’abonner à d’autres internautes et de reblogger du contenu. Les mèmes sont 
également postés à grande échelle sur des sites web d’humour comme 9gag ou 
likealaugh. Et enfin, ils sont partagés sur les réseaux sociaux (majoritairement 
Facebook, les mèmes ayant largement moins de succès sur Twitter ou Google +). 
On peut considérer que les mèmes rentrent dans la culture populaire à partir du 
moment où ils sont partagés en grande envergure sur les réseaux sociaux. Par 
exemple, on peut citer l’incroyable succès de mèmes comme le Harlem Shake, ou 
12 CHEN Carl, « The Creation and Meaning of Internet Memes in 4chan: Popular Internet Culture in 
the Age of Online Digital Reproduction », Habitus, Yale University, 2012 
18
encore Gangnam Style de PSY, qui ont tous deux donné naissance à 
d’innombrables parodies. Dans certains cas (comme ceux-là), il arrive même 
qu’un mème internet prenne une telle ampleur qu’il arrive à sortir de la sphère du 
web, et devienne un réel phénomène dans les médias traditionnels (TV, journaux) 
et IRL (In Real Life). 
19 
2. La culture web 
a. Internet et créativité 
Comme expliqué au-dessus, 4chan est le lieu de création de la grande majorité 
des mèmes internet. En effet, sa structure est particulièrement bénéfique à la 
créativité de ses utilisateurs : l’anonymat et le caractère éphémère des 
publications en font un terrain de jeu parfait pour créer, modifier, améliorer. 
De nombreux chercheurs considèrent que l’identité des utilisateurs et l’archivage 
des données sont des outils centraux dans le design de communautés en ligne. Ils 
soutiennent que l’utilisation de pseudonymes ou des vrais noms favorise la 
confiance et la coopération, alors que l’anonymat rend la communication 
impersonnelle et ébranle la crédibilité. C’est par exemple le cas de Facebook, dont 
le CEO Mark Zuckerberg dit d’ailleurs que les pseudonymes sur le net prouvent un 
manque d’intégrité. Similairement, la norme est aussi à la conservation des 
données : les moteurs de recherche peuvent faire ressortir à la surface du contenu 
qui date de plusieurs années, les réseaux sociaux permettent à leurs utilisateurs 
de consulter des photos prise des années plus tôt, et les communautés en ligne 
attendent souvent des nouveaux arrivants de lire leurs archives (Millen, 2000)13. 
Mais 4chan (et /b/, plus particulièrement) réussit, alors qu’il est presque 
entièrement anonyme et extrêmement éphémère. Cette partie expliquera donc 
pourquoi, ce que l’on peut retenir de cette culture particulière, et son impact sur la 
créativité des utilisateurs. 
13 MILLEN R. David, « Community portals and collective goods: conversation archives as an 
information resource », Proceedings of the 33rd Hawaii International Conference on System 
Sciences, 2000
20 
i. Anonymat 
Comme expliqué précédemment, l’anonymat sur 4chan ne se limite pas à 
l’utilisation d’un pseudonyme. Ici, les publications sont déconnectées de toute 
identité. L’anonymat donne un effet de désinhibition qui peut encourager les 
comportements antisociaux et la publication de contenus indésirables. De plus, 
comme la grande majorité des publications (environ 90%) sont signées 
« Anonymous », cela suggère une désindividualisation et un comportement de 
foule. Il peut donc sembler sans danger pour les utilisateurs de se comporter 
d’une manière dont ils n’oseraient jamais agir dans la vraie vie, puisque leurs 
actions ne vont pas venir les « hanter » par la suite. 
Cependant, les dynamiques de 4chan et de /b/ suggèrent que l’anonymat peut 
avoir un effet positif pour la communication. La désinhibition peut être bénéfique : 
dans des fils de discussion où les utilisateurs se conseillent entre eux, l’anonymat 
peut offrir une sécurité qui rend les conversations plus intimes et ouvertes. Mais 
surtout, l’anonymat peut encourager l’expérimentation de nouvelles idées et de 
nouveaux mèmes : l’échec est assez courant (la plupart des fils de discussions ne 
reçoivent aucune réponse), mais l’anonymat masque cet échec, adoucissant le fait 
d’être ignoré ou d’être délibérément critique. Dans une communauté en ligne 
habituelle avec une identité présente (que ce soit via un pseudo, ou son vrai nom), 
un mauvais historique de publications ne s’efface pas. Sur 4chan, c’est sans 
importance. 
Ainsi, les internautes sont encouragés à constamment créer, publier, modifier, 
commenter ; sans craindre le regard et le jugement de l’autre. Et comme l’a dit 
Moot, le créateur de 4chan : c’est parfois quand les gens sont cachés, insouciants 
de leur réputation ou de leur identité sociale, qu’ils disent et font des choses 
intéressantes. 
ii. Ephémère 
L’éphémérité du site est renforcée par le volume massif de nouvelles publications 
à chaque seconde sur le site. Comme expliqué précédemment, les fils de 
discussions sont balayés au fur et à mesure que de nouveaux sont créés. Quand 
un utilisateur répond à un fil de discussion, celui-ci est re-propulsé sur la première
page. S’il atteint le bas de la dernière page, il est supprimé et l’URL redirige vers 
une erreur « Page Not Found ». Ce processus entier peut prendre à peine 
quelques minutes. 
Mais bien que le site soit éphémère, les utilisateurs ont développé d’autres 
mécanismes pour garder le contenu de valeur. Par exemple, ils font souvent 
référence à un « dossier /b/ » qu’ils auraient gardé sur leur ordinateur, pour 
retrouver le contenu qu’ils apprécient plus tard ou pour le modifier. Ils n’hésitent 
pas non plus à demander aux autres internautes de fouiller dans leurs archives 
personnelles si besoin. Ils ont également développé des sites comme 
4chanarchive.org pour garder des topics particulièrement importants. 
Ainsi, cette sélection naturelle permet à la communauté de ne garder que les 
meilleurs mèmes. Pour garder un contenu en particulier, les utilisateurs doivent 
prendre la décision explicite de le sauvegarder sur leur disque dur et de le 
reposter par la suite. De plus, cette éphémérité permet d’inciter une plus grande 
participation collective. On pourrait penser que les utilisateurs ne verraient aucun 
intérêt à contribuer au site si leurs actions ont de grandes chances d’être effacées 
en quelques minutes. Cependant, ils ont plutôt tendance à répondre rapidement et 
à garder la conversation active pour que le fil de discussion qui les intéresse ne 
disparaisse pas. Ainsi, pour reprendre le caractère de longévité d’un mème selon 
Dawkins, il est ici amélioré : un mème ne survit que selon le bien-vouloir des 
individus concernés. 
Alors que de colossaux acteurs d’internet comme Facebook ou Google font 
évoluer leurs modèles dans la direction de l’identité et de l’archivage des données, 
il est important de comprendre ce qu’il se passe dans les larges communautés qui 
occupent la position inverse. Les communautés comme celle de 4chan ont un 
impact immense sur la culture internet, et le caractère anonyme et éphémère de la 
communauté de /b/ joue un rôle fort dans cette influence culturelle. 
21 
b. Une snack-culture, ou une culture à part entière ? 
Knobel et Lankshear expliquent que la fécondité d’un mème est généralement 
influencée par l’existence d’au moins une de ces caractéristiques : un élément 
humoristique (allant de l’humour original et décalé à l’humour potache, au bizarre,
aux parodies, à l’ironie), une riche intertextualité (par exemple, des références à la 
culture populaire, à la vie de tous les jours, à des phénomènes), et à des 
juxtapositions. Peut-on dire que les mèmes sont les symboles d’une véritable 
culture, ou ne sont-ils simplement qu’un ramassis d’idioties ? 
Les mèmes internet tendent à servir un des quatre objectifs suivant : un 
commentaire social (par exemple des critiques politiques, qui sont parfois sur le 
ton de l’ironie), de l’humour absurde (parodies, images photoshoppées…), 
promouvoir la culture otaku (l’équivalent japonais du geek : un fan de mangas, 
animes, jeux vidéo), ou encore pour diffuser un canular. 
22 
i. Une « snack-culture »… mais pas que 
Le contenu qui circule dans cette communauté, et les mèmes internet en général 
peuvent sembler simpliste et dénués de sens. Henry Jenkins appelle ce 
phénomène une « snack-culture ». Il explique que nous engloutissons aujourd’hui 
la culture populaire de la même manière dont nous dévorons des bonbons ou des 
chips : dans des bouchées bien packagées, faites pour être consommées de plus 
en plus souvent et de plus en plus rapidement. Cette snack-culture, en plus d’être 
« savoureuse et dépendante », implique que ces snacks sont dénués de valeur 
nutritionnelle, triviaux, et une perte de temps. Et que si ce contenu sans intérêt est 
répliqué par les consommateurs, alors ils sont irrationnels et incapables 
d’échapper à cette infection. 
Pour ce qui est de leur valeur réelle en termes de création culturelle et artistique, 
les mèmes internet semblent chevaucher des lignes très fines entre innovation 
douteuse et kitsch ironique, entre esprit mordant et vulgarité. Mais peu importe au 
final si les utilisateurs produisent ou non de la « bonne culture », ces mèmes 
internet ont le pouvoir d’influencer significativement les valeurs sociales de la 
communauté. 
Les mèmes font partie de ce que l’on pourrait appeler une « culture du remix ». 
Lessig (2008)14 explique la différence entre une culture R/O (« Read/Only ») et 
une culture R/W (« Read/Write »). La première fait référence à la consommation 
14 LESSIG Lawrence, « Remix: Making Art and Commerce Thrive in the Hybrid Economy », 2008
d’artéfacts culturels et des médias. En d’autres termes, les individus et les 
communautés consomment les médias sans nécessairement contribuer à la 
création de la culture populaire. La deuxième implique la consommation et la 
création de culture. Dans une culture R/W, les individus ajoutent à la culture qu’ils 
consomment en créant et recréant de la culture autour d’eux. Bien que la montée 
en importance des médias de masse au 20e siècle n’ait pas rendue la culture R/W 
complètement obsolète, il y a eu une tendance dans laquelle les individus 
consommaient la culture populaire sans nécessairement y contribuer. Aujourd’hui, 
la culture internet et ses faibles barrières à l’entrée font qu’ils peuvent plus 
facilement être aussi les producteurs et les distributeurs de cette culture, et pas 
seulement les consommateurs. Et comme les mèmes sont publiés par « le 
peuple », ils peuvent être révélateurs de nouveaux traits de consommation au sein 
d’une société, comme par son exemple son besoin grandissant de gratification 
immédiate. 
23 
ii. Une culture du LOL, à différents objectifs 
La plupart des mèmes appellent et se reposent sur la 
créativité de personnes qui, soit apprécient les idées 
absurdes, ludiques, et véhiculant peu de contenu 
« sérieux » ; soit apprécient les idées humoristiques 
venant soutenir un contenu sérieux (souvent, une 
critique sociale). L’humour est un très puissant facteur 
de cohérence pour les internautes qui se considèrent 
membres de cybercommunautés. 
La culture internet a d’ailleurs son propre langage (en plus des différents 
acronymes) : le LOLspeak. On peut le retrouver dans la plupart des mèmes basés 
sur des images macro (comme par exemple les LOLcats, ou doge15). C’est un 
anglais écorché, délibérément incorrect. Il existe d’ailleurs des analogies entre le 
langage enfantin et celui-ci, dans un objectif humoristique. 
15 Doge : http://knowyourmeme.com/memes/doge 
Exemple du mème Doge
24 
• L’importance de la juxtaposition 
Selon Limor Shifman, une caractéristique fondamentale de nombreux mèmes 
internet est l’incongruité entre deux ou plusieurs éléments au sein de ceux-ci. Plus 
spécifiquement, on voit souvent une personne qui semble complètement en 
décalage avec le contexte et la situation autour de lui : on peut citer par exemple 
le mème « Disaster Girl », qui représente une petite fille souriant à la caméra alors 
que l’on peut voir derrière elle une maison brûler. Cette incongruité appelle à des 
réponses mémétiques : puisque le personnage représenté semble hors contexte, 
la réappropriation de ce dernier dans d’autres contextes semble presque naturelle. 
De plus, elle donne l’impression d’une image déjà Photoshoppée, et ouvre donc la 
voie à des réactions basés sur la retouche d’image. Les internautes qui 
capitalisent sur l’incongruité représentée dans le mème original tendent à faire 
deux choses : accentuer le ridicule associé à cette incongruité en présentant des 
juxtapositions encore plus puissantes (par exemple, la « Disaster Girl » n’a pas 
seulement assisté à l’incendie de sa maison, elle était aussi devant la chute des 
tours au 11 septembre) ; ou le réduire en repositionnant le personnage dans un 
contexte qui semble plus approprié. 
• L’humour comme outil de critique sociale 
L’ironie et l’humour satirique sont souvent utilisés dans les mèmes dont le but est 
de critiquer un phénomène social. Par exemple, de nombreux mèmes détournent 
des contenus culturels pour critiquer l’industrie de la culture et la façon qu’elle a de 
produire du contenu – qu’ils jugent – sans valeur et sans valeur sociale. 
Le site blackpeopleloveus.com est un autre exemple de mème dont le but est de 
faire une critique sociale. Il s’agit d’un site recensant des commentaires ironiques, 
voire acerbes, sur le paternalisme libéral américain blanc envers les afro-américains. 
Ce faux site personnel comprend une série de « témoignages », qui 
insistent sur la condescendance qui peut avoir lieu dans les jugements naïfs que 
peuvent avoir certaines personnes sur les différences culturelles : par exemple, 
des personnes blanches prouvant leur « solidarités » en clamant leur goût pour la 
musique rap.
Un autre exemple de mème humoristique pour critiquer un phénomène politique 
pourrait être le mème Bush-Blair Love Song créé par le groupe de musique 
suédois Read My Lips. Le groupe a rassemblé des centaines de fragments de 
vidéos avec George Bush et Tony Blair, et a synchronisé les mouvements de leurs 
lèvres et leurs actions avec leur chanson d’amour « Endless Love »16, pour 
suggérer une romance entre les deux protagonistes. La vidéo se dresse comme 
une condamnation de l’alliance militaire entre Bush et Blair pour envahir l’Iraq. 
25 
• L’humour « for teh lulz » 
Les communautés internet qui produisent les mèmes semblent couvrir toute la 
gamme de l’humour post-moderne selon Lipovetsky (1983). D’un côté, il existe 
des mèmes qui démontrent un sens de l’humour qui évite la confrontation, et qui 
semblent respecter ce qui semble approprié. De l’autre, il existe des mèmes dont 
l’humour semble immoral, malveillant, voire violent. 
La plupart des mèmes de ce type s’inscrivent dans 3 genres différents : le Fail, le 
What the fuck, et le Win (pour reprendre les termes de Limor Shifman). 
Le Fail marque des moments d’incompétence sociale, d’embarras, de malchance 
et est par exemple incarné par des personnages comme le Socially Awkard 
Penguin, ou le Forever Alone. Ces mèmes sont souvent liés à des scénarios de la 
vie de tous les jours : se cogner le petit doigt de pied dans un meuble, voir 
quelqu’un refuser ses avances, ne plus avoir de batterie sur son téléphone à un 
moment important… Autant de situations triviales qui font que la plupart des 
individus, en voyant ces types de mèmes, y associent leur propre vécu et leurs 
propres expériences. Ces petits évènements de tous les jours, ces anecdotes 
universelles, ont une large propension à être partagées : cela se prouve par 
exemple par le succès de YouTubeurs comme Norman fait des vidéos ou Cyprien, 
dont les vidéos atteignent des millions de vues en parlant de manière 
humoristique de sujets qui – au sein de leur public – font écho (les rendez-vous 
amoureux, les soldes, la cigarette, par exemple). 
Le What The Fuck (ou « WTF memes ») concerne les mèmes où l’échec n’est pas 
lié au protagoniste mais aux autres, et où la situation le laisse avec l’éternelle 
16 Read my lips – Endless Love : https://www.youtube.com/watch?v=F1hQ7iyI0JI
question : WTF ? Les « autres » dans de tels mèmes sont représentés comme en 
dehors du groupe : ils manquent d’intelligence et discernement. Enfin, les mèmes 
Win représentent des situations victorieuses de la vie de tous les jours. 
Comme expliqué précédemment, les mèmes internet 
représentent souvent un élément décalé par rapport à 
son contexte : par exemple, des mèmes très connus 
représentent des photos ou des dessins d’hommes 
politiques avec une courte phrase qui appuie 
l’expression du protagoniste. Pour n’en citer que 
quelques-uns, il existe notamment le mème « Not bad » 
avec Barack Obama, ou encore le « Give this man a 
cookie » de Vladimir Poutine. 
Cela peut également se présenter sous la forme d’une parodie d’un extrait de film, 
dont les dialogues sont modifiés. L’exemple le plus connu est le mème Hitler 
Reacts, basé sur une scène du film allemand La Chute (Oliver Hirschbiegel), où 
on voit Hitler hurler sur ses lieutenants et autres gradés. Elle a donné naissance à 
de nombreuses parodies humoristiques où les dialogues originaux en allemands 
sont conservés, mais où des sous titres dans une autre langue concernant des 
évènements anachroniques sont ajoutés. De cette façon, Hitler a réagi a de 
nombreux phénomènes, dont d’autres mèmes internet : par exemple au Double 
Rainbow, Gangnam Style, la mort de Michael Jackson, ou encore au fait que le 
nouvel iPad n’ait pas de mode multitâches. 
Il n’y a donc aucune limite dans les sujets abordés : quand on en vient aux mèmes 
internet, on peut – et on doit – rire de tout. Internet est régi par le LOL (Laughing 
Out Loud). Le sous forum /b/ de 4chan avait d’ailleurs écrit en 2006 une liste des 
47 règles de l’internet (voir Annexe N°1) : il est intéressant d’en souligner les 
règles n°20 « Rien ne doit être pris au sérieux » et n°42 « Rien n’est sacré ». 
Les exemples de mèmes humoristiques et absurdes ne manquent pas, et c’est 
d’ailleurs ce qui fait que de nombreuses personnes considèrent la culture web et 
les mèmes comme un ramassis de bêtises d’adolescents. Dans la majorité des 
cas, les mèmes sont créés « for the lulz » (dans le seul but de rire) et n’ont aucune 
autre prétention. L’expression suggère une tendance inconditionnelle et sans 
26 
Exemple du mème B. Obama
bornes à plaisanter à propos de sujets considérés en dehors des limites, pour des 
raisons de gravité ou de compassion. 
Les mèmes sont en quelque sorte une « private-joke globale ». Ils font un clin 
d’oeil à tous ceux qui connaissent le phénomène, et ceux en dehors de ce cercle 
peuvent parfois avoir des difficultés à le comprendre. Ils sont représentatifs d’une 
culture à part entière : à la fois compréhensible globalement puisque très visuels, 
certains le sont moins car ils nécessitent d’avoir une véritable culture digitale. En 
ce sens ils donnent le sentiment d’appartenir à une communauté à part, celle 
d’internet. 
La culture web est tendance, aussi il semble logique que certaines marquent 
veuillent rebondir sur le phénomène et cible cette part restreinte d’internautes 
attirée par la culture web et les mèmes. La partie suivante expliquera les 
différentes manières dont les marques tentent de se réapproprier cette culture, et 
dans quel objectif. 
27
II) Les mèmes internet dans la publicité 
Aujourd’hui, il ne semble y avoir sur internet que peu de place pour la publicité 
véritablement créative : les moteurs de recherche sont pollués par des liens 
sponsorisés, les pop-ups vous assaillent au moindre clic, les bannières aux 
couleurs criardes et parfois même mal orthographiées vous piquent les yeux. La 
majorité de la publicité que l’on peut retrouver sur le web ne vient pas de grands 
directeurs artistiques. Ces encarts « Vieux trucs de grand-mère », « C’est prouvé, 
ça marche ! » sont le résultat d’algorithmes qui jetteront n’importe quoi sur vos 
écrans, pour voir si ça fonctionne. 
Avec les technologies d’optimisation, de placement de produit, les moteurs de 
recherche basés sur les liens sponsorisés, les coûts des médias qui changent en 
temps réel et les fonctionnalités de géolocalisation pour les appareils mobiles, il 
serait facile de conclure que la publicité est aujourd’hui plus une science qu’un art. 
Mais (et bien heureusement), toutes les marques ne se contentent pas d’utiliser le 
web de cette manière, et offrent encore des publicités créatives sur le net. Et une 
manière d’utiliser internet comme autre chose qu’un simple média, c’est aussi de 
comprendre qu’il est source d’une véritable culture : c’est tenter de comprendre 
ses codes, et de jouer avec ces derniers pour proposer du contenu innovant et 
créatif. 
28 
1. L’attractivité des mèmes internet pour les marques 
a. Une opportunité alléchante 
La culture Internet ne cesse de prendre de l’ampleur. Par le biais des mèmes, de 
l’émergence de certains codes et ses célébrités, celle-ci se réinvente 
constamment, évolue, et s’impose comme une culture à part entière qu’il faut 
comprendre. Et comme toute tendance populaire, certains annonceurs se sont 
empressés de vouloir capitaliser dessus, et de les utiliser à des fins commerciales. 
C’est parfois réussi, parfois un peu plus à la traîne, mais certains se risquent au 
jeu.
29 
i. L’attrait du mème 
De par leur caractère mimétique, il semble tout à fait logique de se réapproprier ce 
type de contenus. Les mèmes, c’est le rêve de toute marque : un contenu qui est 
partagé à grande échelle, détourné, copié, connu, sans effort ou presque de la 
part du créateur… 
Contrairement à d’autres cas, ce n’est pas parce qu’un internaute a déjà vu la 
version originale d’un mème internet qu’il en ignorera les versions suivantes : c’est 
même la raison pour laquelle il leur prêtera attention. De plus, le détournement et 
la copie étant la base du mème internet, le terrain peut sembler tout tracé : et si 
des internautes lambda sont capables de créer des images avec un tel potentiel 
viral, alors qu’en serait-il si ça venait de créatifs professionnels de la 
communication ? On est en droit de penser que la publicité (annonceurs ou 
agences) serait en mesure de proposer du contenu basé sur les mèmes internet, 
mais que grâce à ses moyens il soit de meilleure qualité que ce que l’on trouve 
habituellement sur le net. Et si des millions d’internautes partagent, copient et 
parlent d’une vidéo de mauvaise qualité représentant un chat jouant du piano, 
alors on ne peut qu’espérer qu’une vidéo similaire mais « meilleure », aurait 
également une grande propension à devenir virale. Parce que l’objectif des 
publicités détournant des mèmes internet, c’est bien celui-ci : la viralité. Le plus 
important, c’est de faire parler de sa marque. 
Ensuite, reprendre des phénomènes internet dans une campagne de 
communication donne à une marque une image jeune, moderne et ancrée dans 
les codes du web. Et quand la cible d’une marque est jeune, moderne et ancrée 
dans ces codes : le meilleur moyen de lui parler, c’est encore de lui parler avec le 
langage qu’elle comprend. Utiliser les mèmes internet, c’est montrer au public que 
l’on est conscient de sa culture web si particulière, qu’on la comprend et qu’on la 
partage. C’est faire un clin d’oeil à chaque internaute, et attendre que ces derniers 
apprécient le geste. C’est avoir reconnu qu’internet n’était pas seulement un 
média, mais aussi la source d’une véritable culture web. C’est vouloir dépasser le 
simple principe de communication, et parler à une cible bien spécifique avec des 
mots qu’elle comprend, des codes qui lui parlent, des phénomènes qu’elle 
reconnait et dans lesquels elle est activement impliquée.
30 
ii. Une cible bien particulière 
La cible de ces publicités, c’est donc ces internautes qui passent énormément de 
temps sur internet, pour le plaisir, et qui est consciente du phénomène des mèmes 
internet (sans en connaître nécessairement le terme, par ailleurs). C’est une 
catégorie d’individus qui partagent les mêmes valeurs, qui suivent les mêmes 
codes. Cette cible, avant d’être découpée en « utilisateurs courants » ou 
« connaisseurs », c’est avant tout la génération Y. La génération Y regroupe des 
personnes nées approximativement entre les années 1980 et 2000. Ces individus 
sont nés dans un monde où l’ordinateur et internet étaient de plus en plus 
accessibles : aussi, ils ont évolué avec le web, et connaissent ses codes. 
Les individus appartenant à la génération Y sont souvent considérés comme des 
« consomm’acteurs » plutôt que comme des consommateurs. Ce, parce qu’ils 
sont proactifs dans leur démarche de recherche d’information, qu’ils partagent du 
contenu, créent du contenu (site web perso, article de blog… ou mème). De part 
leurs habitudes de consommation face au digital, ils acceptent de plus en plus 
difficilement la publicité classique sur le net (pop-ups, bannières). De plus, ils 
interagissent de manière différente avec les marques que les autres générations : 
il existe aujourd’hui une réelle volonté de dialogue entre consommateurs (par 
exemple, sur des forums), et entre consommateurs et marques (qui a causé 
l’apparition du Community management, par exemple). Enfin, ils sont de plus en 
plus réticents aux techniques de « push marketing » : si une marque veut les 
aborder, il faut donc un contenu particulièrement adapté à leurs attentes. 
Utiliser les tactiques habituelles sur une cible différente est inefficace. Afin de 
toucher cette cible sur internet, il faut donc adopter une stratégie digitale adaptée. 
b. Une stratégie à laquelle peu se risquent 
Alors que les publicitaires créaient des mèmes, aujourd’hui la meilleure stratégie 
pourrait être de surfer sur ces derniers. Pourtant, les mèmes internet – et la 
culture web en général – restent encore très peu utilisés par les agences de 
publicité. Et ce, pour plusieurs raisons. La première est que ça complexifie trop 
internet dans l’esprit des annonceurs. Pour la majorité des marques, internet est
un média sur lequel on met des bannières publicitaires, et éventuellement du 
Community Management. La culture internet n’est pas facile à comprendre, et très 
peu en parlent : elle reste un concept flou, et est sous-estimée (quand on parle de 
culture internet et de mèmes, la plupart pense d’abord à des images à l’humour 
parfois douteux ou aux inutiles et innombrables photos de chats partagées sur 
internet). Seulement, comme l’auteur du blog Cyroul.com l’a dit : « Comment peut-on 
communiquer à sa cible si on ne connait pas les codes de sa culture, ses 
raccourcis sémantiques, ses ponctuations imagées, ses usages et qualités 
d’interaction ? » La réponse est simple : on ne peut pas. 
Ensuite elle fait appel à des compétences qui n’existent pas en agence de 
publicité : le folklore digital et la culture internet sont dépendants de ressorts 
psychologiques, philosophies, sociaux. Typiquement le genre d’information que 
l’on ne retrouve pas dans la presse spécialisée en marketing digital… Ainsi, les 
agences attendent que ce soit une vraie demande du client annonceur (comme 
par exemple pour le Community Manager en 2008) avant d’investir sur ces 
compétences. 
De plus, des questions légales relatives aux droits d’auteur se posent. Bien que 
les mèmes soient issus d’un effort anonyme et collectif, à qui appartiennent-ils ? 
Peuvent-ils être utilisés à des fins lucratives ? Hors, quand une marque cherche à 
communiquer, un procès pour plagiat est exactement ce dont elle n’a pas 
besoin… 
Cependant, certains annonceurs choisissent tout de même de prendre le risque 
d’utiliser la culture internet et ses mèmes dans leurs campagnes de 
communication. Dans la partie suivante, je présenterais différents exemples de ce 
qui a été fait sur le sujet, puis j’expliquerais l’objectif recherché par les marques 
avec de telles publicités. 
31 
2. Exemples de réappropriation de mèmes internet 
Les exemples de marques utilisant les mèmes internet dans leur stratégie de 
communication ne sont pas nombreux, mais ils témoignent tout de même d’une 
tendance grandissante dans la communication. De même, les Community 
Managers s’amusent de plus en plus souvent à créer ou relayer des mèmes
internet (plus ou moins en rapport avec leur marque) sur les comptes de leurs 
entreprises sur les réseaux sociaux. 
32 
a. Des marques qui ont surfé sur les mèmes internet : 
exemples d’Oasis, Glacéau et Wonderful Pistachios 
Certaines marques ont a leur actif plusieurs vidéos publicitaires – destinées au 
web – qui détournent des mèmes internet : je parlerai ici des cas d’Oasis, Glacéau 
(avec Vitamin Water et Smart Water) et Wonderful Pistachios. Cette utilisation 
s’est faite dans le cadre de stratégies différentes : alors qu’Oasis parodie les 
mèmes internet dans la logique d’un story-telling basé sur le détournement et 
ancré dans les codes du web, Wonderful Pistachios l’a fait par habitude d’utiliser 
des « célébrités » connues du grand public dans ses spots, et Glacéau s’est plutôt 
servis du phénomène dans une stratégie de one-shot, pour faire le buzz à court 
terme. 
i. Exemple d’Oasis : le grand gagnant du web 
Oasis est une marque considérée par beaucoup comme la meilleure en matière 
de communication digitale. Elle été l’une des premières marques à miser 
massivement sur le 2.0 : certains de ses évènements, comme le « Fruit of the 
Year » en 2010, furent centrés sur les réseaux sociaux : alors qu’habituellement ils 
servaient plutôt de relais. 
Sa stratégie est basée sur le story telling (définition Wikipédia : « méthode utilisée 
en communication fondée sur une structure narrative du discours qui s'apparente 
à celle des contes, des récits ») : par exemple, elle mets actuellement ses 
personnages en scène dans une web-série composée de plusieurs épisodes 
sortant chaque mois. Et ce story teling est essentiellement basé sur le 
détournement : dans ses vidéos, Oasis fait allusion à divers éléments de pop 
culture, et en fait des jeux de mots avec les fruits. 
Dans le 1er épisode de la web-série, Le Cocoloc, ils font par exemple un clin d’oeil 
au célèbre jeu Candy Crush en l’appelant « Manguy Crush », au site 
pornographique YouPorn en le renommant « YouPomm » (ils ont d’ailleurs créé le
site internet pour l’occasion), ils détournent la célèbre expression « Vers l’infini et 
l’au delà » du dessin animé Toy Story en « Vers l’infruinit et l’au delà » … La liste 
est longue. Sur les réseaux sociaux, la marque rebondit très rapidement sur 
l’actualité, et détourne les sujets en vogue : par exemple, le 24 mai 2014 la 
marque a posté le tweet « EXCLUSIF dans Boici : les photos du mariage de 
Kanye Quetsche et Kim Kananashian ! » pour rebondir sur le mariage de Kanye 
West et Kim Kardashian, qui fait sensation dans la presse people. Les jeux de 
mots sont bien trouvés et font foison, et surtout, ils font le buzz. 
C’est toutes ces allusions, ces détournements humoristiques qui font que le public 
considère Oasis comme une marque jeune, moderne et fun. La marque se voulant 
ancrée dans le digital, il est alors tout à fait logique qu’en restant dans la même 
logique de détournement, elle utilise aussi les mèmes internet. 
Afro Ninja Dramatic Chipmunk Leave Britney Alone 
Afro Agrume Dramatic Ananas Leave Her Alone 
Forte d’une importante identité numérique, la marque a donc réalisé en 2011 
quatre courts spots utilisant des phénomènes internet. Ces publicités ont été 
réalisées par l’agence Marcel, et ont été publiées sur les réseaux sociaux. Parmi 
elles, trois utilisaient des mèmes internet : Afro Ninja17, Dramatic Chipmunk18 et 
Leave Britney Alone19. 
33 
17 Afro Ninja : https://www.youtube.com/watch?v=BEtIoGQxqQs 
Détournement Oasis – Afro Agrume : https://www.youtube.com/watch?v=ZDtzIxo8Vwg 
18 Dramatic Chipmunk : https://www.youtube.com/watch?v=a1Y73sPHKxw
La ressemblance entre les originaux et les adaptations est évidemment frappante : 
quiconque ayant connaissance du mème internet reconnaîtra le clin d’oeil. Et les 
réactions sont globalement très positives (1038 « pouces verts » sur la 
vidéo, contre 146 « pouces rouges »). D’autant plus que certains, moins initiés aux 
mèmes internet, ne comprennent pas l’allusion... La vidéo fait donc office de 
private-joke globale, ce qui renforce encore plus le lien privilégié entre la marque 
et sa cible. 
34 
ii. Exemple de Wonderful Pistachios 
La marque Wonderful Pistachios a lancé en 2011 deux spots publicitaires 
reprenant respectivement les mèmes internet Honey Badger20 et Keyboard Cat21. 
Le mème Honey Badger est à l’origine une vidéo provenant d’un documentaire 
animalier de National Geographic, dont la narration est faite par un homme 
nommé Randall, qui a par la suite lancé une série de vidéos similaires sur 
YouTube. La vidéo a eu beaucoup de succès au début de l’année 2011, pour ses 
commentaires insolents et la personnification du mammifère en question. La vidéo 
est notamment culte pour les premiers commentaires de Randall : « This is a 
honey badger. Watch it run in slow motion. It’s pretty badass ». 
La parodie de Wonderful Pistachios22 reprend la narration de la vidéo originale : 
elle mets en scène le même personnage (le blaireau) – mais cette fois sur fond 
blanc, les mêmes phrases – mais pas le même narrateur, avec les mêmes actions 
(notamment, il attaque un serpent) – à ceci près qu’à la fin de la vidéo il casse une 
pistache (le produit de la marque, donc). 
Keyboard Cat est un mème provenant d'une vidéo créée en 1984 dans laquelle le 
chat "Fatso" joue un morceau sur un piano électrique. En réalité, le morceau était 
joué par Charlie Schmidt, le propriétaire de Fatso, qui avait la main cachée dans le 
t-shirt du chat. La vidéo n'a été publiée sur internet que vingt ans plus tard, en 
2004, sur le site personnel de Charlie Schmidt. Le 2 février 2009, cette vidéo 
Détournement Oasis – Dramatic Ananas : https://www.youtube.com/watch?v=xdxcCDuV1HI 
19 Leave Britney Alone : https://www.youtube.com/watch?v=kHmvkRoEowc 
Détournement Oasis – Leave Her Alone : https://www.youtube.com/watch?v=GqAUwGEJgLM 
20 Honey Badger : http://knowyourmeme.com/memes/honey-badger 
21 Keyboard Cat : http://knowyourmeme.com/memes/keyboard-cat 
22 Parodie Wonderful Pistachios : https://www.youtube.com/watch?v=nhdvmEYCQgA
devint un phénomène internet (Play him off, Keyboard Cat) : elle est reprise et 
modifiée par de nombreux internautes. 
La vidéo de Wonderful Pistachios23 mets en scène un chat avec un tshirt vert (la 
couleur pistache), sur fond blanc, qui joue au piano le même air que dans la vidéo 
originale. A la fin de la vidéo, il casse une pistache. 
Une version parodiée du mème Honey 
Badger 
La version Wonderful Pistachios 
La version Wonderful Pistachios Le mème original Keyboard Cat 
Dans les deux cas, la réappropriation des mèmes internet est plutôt maladroite. La 
marque a, certes, rendu le mème plus professionnel : les images sont nettes, le 
fond a été changé, les couleurs sont en adéquation avec sa charte graphique. En 
revanche, l’histoire est la même : les personnages font les mêmes actions que 
dans les vidéos originales, au détail près que tous deux cassent une pistache à la 
fin. 
35 
23 Parodie Wonderful Pistachios : https://www.youtube.com/watch?v=-IcGvBE5xfg
L’allusion aux mèmes peut ravir certains internautes, qui y verront là un clin d’oeil 
fait à leur culture et qui le prendront comme tel. Cependant, dans le cas de la 
parodie d’Honey Badger, la marque oublie le sens originel du mème : ce dernier 
représente la désinvolture la plus complète. Il a été détourné sous le format 
d’images macro avec une photo d’un blaireau à l’air agressif, avec une légende 
qui évolue toujours autour du « Honey Badger doesn’t care ». A l’inverse, une 
version « Sensitive Honey Badger » a même été créée par des internautes : avec 
une image d’un blaireau ayant l’air tout à fait inoffensif (voire pensif), et une 
légende de type « People say I don’t care… But I do ». Mais dans tous les cas, la 
marque n’a pas prêté attention au symbole que ce mème transportait, et l’a utilisé 
tel quel dans sa vidéo. Et parodier un mème internet sans tenir compte de sa 
signification n’est pas, à mon sens, la manière dont il faut opérer. 
36 
iii. Exemple du groupe Glacéau 
Le groupe Glacéau possède deux marques ayant tenté de surfer sur les mèmes 
internet : Vitamin Water et Smart Water. 
A l’inverse d’Oasis qui proposait une vidéo parodique par mème, Vitamin Water, 
en 2012, a décidé d’en réunir le plus possibles dans un seul spot vidéo24. La vidéo 
est pensée comme un hommage à la culture internet et culture mème. Ainsi, on 
peut y retrouver les mèmes Epic Sax Guy, le planking, Success Kid, des LOLcats, 
un flashmob… Le slogan étant, en substance : « Préparez-vous pour n’importe 
quoi avec Vitamin Water ». 
Smart Water a choisi de mélanger références de la pop culture, et références de 
la culture internet dans ce spot25 de 2011 : on peut y retrouver Jennifer Aniston, 
une célèbre actrice, et Keenan Cahill, une célébrité du net (il reprends 
régulièrement des chansons en playback – ou lipsynch). Dans cette vidéo, l’actrice 
est présentée à côté de trois « Internet Guys », et nous annonce qu’elle doit 
promouvoir le produit Smart Water. Elle explique alors qu’elle ne peut pas 
simplement dire que c’est l’eau la plus pure, la plus goûteuse… mais qu’elle doit 
faire une vidéo « virale ». Alors, les Internet Guys lui remettent une liste des 
24 Publicité Vitamin Water : https://www.youtube.com/watch?v=Mw44I2P7wO8 
25 Publicité Smart Water : https://www.youtube.com/watch?v=ZvzQsXUDdQY
différents « critères » qu’une vidéo doit comporter pour devenir virale : c’est à dire 
des animaux, des bébés qui dansent, un double arc-en-ciel… Ces différents 
éléments sont donc mis en scènes l’un après l’autre, avec une Jennifer Aniston 
qui, comme toute personne n’étant pas connaisseur, les apprécie mais n’en saisit 
pas la portée (c’est à dire qu’elle ne reconnait pas les références). Pour finir, on 
peut voir l’actrice boire à la bouteille en slow-motion, avec une musique sexy et du 
vent dans ses cheveux. 
Le ton humoristique de cette vidéo est basé sur une critique des publicités cliché : 
que ce soit le classique ralenti glamour sur une belle femme pour promouvoir 
n’importe quel type de produit, ou la juxtaposition de plusieurs « ingrédients 
incontournables » pour faire le buzz. La marque joue la carte de l’ironie, espérant 
créer un lien avec le consommateur qui rira devant cette honnêteté. 
Dans ces deux cas, l’idée était plutôt réussi : la plupart des réactions face à ces 
publicités sont positives, le clin d’oeil est apprécié. La deuxième vidéo a également 
l’avantage de s’adresser à un public plus large qu’aux amateurs de mèmes 
internet, puisque les autres se reconnaîtront dans son égérie, plus traditionnelle. 
Cependant, il semblerait que l’utilisation de mèmes internet dans les publicités de 
ces deux marques soit un one-shot pour chacune d’entre elles. En effet, leur 
utilisation des réseaux sociaux aujourd’hui est on ne peut plus classique, et pas 
vraiment portée sur le ton de l’humour. 
Dans la même lignée, on peut citer l’exemple de Purina, du groupe Friskies, qui a 
lancé en 2013 une vidéo en ligne intitulée « Hard to Be a Cat at Christmas »26. 
Cette dernière mettait en scène cinq chats dans un décor de fêtes de fin d’année. 
En soi, une publicité qui utilise des chats, ça n’a rien de nouveau (Bouygues l’avait 
bien fait en 201127). Seulement ici, il se trouve qu’il s’agit des chats les plus 
connus d’internet : Grumpy Cat, Colonel Meow, Nala Cat, Oskar the Blind Cat, et 
Hamilton the Hipster Cat. Ces LOLcats sont utilisés comme n’importe quelle 
célébrité lambda dans une publicité classique. Ici ils sont les ambassadeurs de la 
37 
26 Purina – Hard to Be a Cat at Christmas https://www.youtube.com/watch?v=06GhXB2_XNE 
27 Bouygues Telecom présente les Chatons Telecom : 
https://www.youtube.com/watch?v=59ZYrB8Ws7Y
marque : pourtant, celle-ci ne semble pas s’inscrire tout particulièrement dans une 
stratégie digitale. 
Ce cas rejoint celui de Glacéau dans le sens où Purina utilise ici les mèmes 
internet dans le cadre d’une communication one-shot : il n’y a pas de volonté de 
continuer sur cette voie. Ces marques en ont fait l’essai, mais ne l’ont pas 
renouvelé : probablement pour ne pas risquer de cantonner son image de marque 
à une image « geek », peut être trop restreinte. 
38 
b. Un même mème détourné par plusieurs marques : le 
phénomène « Double Rainbow » 
Le mème internet « Double Rainbow » est parti d’une vidéo YouTube postée le 8 
janvier 2010, où on pouvait voir un homme dans un pur moment d’extase devant 
un phénomène scientifique plus ou moins rare : un double arc-en-ciel. La vidéo est 
devenue ultra virale (elle compte aujourd’hui presque 40 millions de vues) et a 
donné naissance à de nombreuses parodies. Plusieurs annonceurs se sont 
empressés de rebondir sur le phénomène : Vodafone, Microsoft, ou encore Ben & 
Jerry’s. 
En septembre 2010, Microsoft a publié une vidéo pour promouvoir Windows Live 
Photo Gallery, dans laquelle est mis en scène le même homme que dans la vidéo 
originale (Paul « Bear » Vasquez). ce dernier s’extasie devant un double arc en 
ciel, puis il le prend en photo. On le voit ensuite retoucher ses photos dans 
Windows Live Photo Gallery. 
En janvier 2011, Vodafone New Zealand a également fait appel à Paul Vasquez 
pour son spot publicitaire. Il s’extasie tour à tour devant des objets en double : au 
début un arc en ciel, puis une double cascade, une double rivière, une double 
boite aux lettres… pour finir devant une affiche de Vodafone où il est écrit 
« Double Back » (une offre promotionnelle de l’époque). 
Dans ces deux cas, les marques ont utilisé le phénomène à 100%, allant jusqu’à 
faire jouer le protagoniste dans leur vidéo. Ils lui font faire exactement la même 
chose que dans la vidéo originale : les gestes, les expressions sont copiées. Par 
exemple, les phrases « Double rainbow, all the way across the sky » et « What
does it mean ? » célèbres dans le mème original (qui apparaissent de 
nombreuses fois dans les commentaires de la vidéo, et qui sont utilisées pour les 
parodies) sont utilisées tel quelles dans les deux publicités. Ici, peu de créativité : 
les marques ont simplement chercher à « reformuler » un phénomène ayant déjà 
rencontré du succès, et ont utilisé Paul Vasquez de la même manière que 
n’importe quelle célébrité. 
Ben & Jerry’s a également utilisé le mème, mais d’une autre manière : pendant 
quelques jours en août 2010, le fond de leur site internet était composé d’un 
double arc en ciel, et de plusieurs vaches (les « égéries » de la marque) qui 
reprenaient les expressions du mème original. En plus d’avoir su être plus 
réactifs, l’utilisation du mème internet est plus subtile que dans les deux cas 
précédents, et apparaît plutôt comme un clin d’oeil vers la vidéo originale que 
comme une copie commerciale. 
Cependant, un détail est de taille : la marque n’avait pas demandé l’autorisation 
de Paul Vasquez. Certes, un double arc en ciel est un phénomène naturel et 
n’appartient à personne. Cependant, les phrases utilisées (« Double Rainbow all 
the way », par exemple) ont été dites par ce dernier dans la vidéo, et sont en 
quelque sorte le « slogan » du mème internet. Et bien que Paul Vasquez n’ait pas 
posé de copyrights sur ces expressions, il est évident que la marque utilise son 
image et celle de sa vidéo, sans son autorisation. 
Dans une interview conduite par Austin Carr de Fastcompany.com28, il explique : 
« So I got on my Facebook, and was telling my fans, That's not cool – they 
should've just asked me. And I didn't tell them to take it down. And then they took 
it down without asking me! And you know what? I really liked the website – I just 
wish they had talked to me! They didn't ask me to put it up, and they didn't ask me 
to take it down. It was like, Come on, have a little bit of consideration. » Et comme 
on pourrait si attendre, la plupart des internautes ont pris son parti. Un buzz mitigé 
donc, de la part de Ben & Jerry’s. 
28 
« Double Rainbow Guy goes all the way with Microsoft for Windows Live Commercial », Austin 
Carr, Fastcompany.com http://www.fastcompany.com/1686590/double-rainbow-guy-goes-all-way-microsoft- 
39 
windows-live-commercial
Campagne HipChat Campagne Virgin Media 
40 
c. Quand les mèmes internet sortent de la toile 
Certaines marques ont pris le risque d’utiliser les mèmes internet jusque dans des 
campagnes IRL (littéralement : In Real Life, c’est à dire dans la vraie vie). C’est 
notamment le cas de Virgin Media, qui a utilisé le Success Kid dans une 
campagne d’affichage en février 2012. Le slogan disait, en substance : « Tim vient 
de réaliser que ces parents recevaient les chaînes TV en HD sans payer plus ». 
Le message concrétise tout à fait le symbole du mème en question : le succès. 
Hip Chat, une plateforme de messagerie instantanée, a choisi d’utiliser le mème 
« Y U NO Guy », un des ragecomics les plus connus. Il était représenté dans une 
campagne d’affichage de 4 semaines, avec le slogan « Y U NO USE 
HIPCHAT ? ». Encore une fois, l’utilisation du mème est en adéquation avec la 
signification du mème original. Cette campagne fut un franc succès, puisque la 
marque a vu son trafic augmenter subitement, et a gagné de nombreux nouveaux 
clients. 
Ces deux campagnes partagent une même caractéristiques : elles gardent l’esprit 
amateur des mèmes internet. Les images n’ont pas été embellies, ni mises en 
scène ; ainsi, elles ressemblent à n’importe quelle autre version de ces mèmes 
que l’on pourrait trouver sur internet. Cela donne un côté humain à la publicité : 
l’idée que derrière ces grosses entreprises, il existe des individus qui, dans le 
département marketing, passent aussi leurs journées à faire défiler les mèmes 
internet sur 9gag… Et cela donne un ton humoristique qui créée un véritable lien 
vers la cible.
41 
3. Analyse de la stratégie 
L’objectif final d’une entreprise qui lance une nouvelle campagne de 
communication, c’est de vendre. Cependant, il existe très peu de cas dans 
lesquels on peut expliquer une augmentation des ventes seulement par une 
publicité, puisque la publicité y contribue de manière indirecte. Les objectifs d’une 
publicité sont de trois ordres : cognitif, affectif et conatif29. L’utilisation de mèmes 
internet dans la publicité se fait dans un objectif affectif, puisque les marques 
cherchent ainsi à créer un lien privilégié avec leur cible, et à se donner une image 
jeune, moderne, fun, etc. Ces publicités jouent sur un registre émotionnel, et 
permettent de créer un imaginaire autour de la marque, un univers. Leurs effets 
sont difficiles à mesurer, puisqu’elles n’ont pas nécessairement un effet direct sur 
les ventes. Le meilleur moyen juger de l’efficacité de ce type de publicités est donc 
de conduire une étude sur l’image perçue par la cible. 
Dans la majorité des cas, l’utilisation de mèmes internet se fait dans le cadre 
d’une stratégie one-shot30 (comme Glacéau, Virgin, HipChat, ou encore Purina), 
dont l’objectif est de créer le buzz autour de la marque. Cependant, dans d’autres 
cas, cette décision est prise dans le cadre d’une réelle stratégie. 
Ainsi, la réappropriation de mèmes internet dans la publicité peut être justifiée au 
sein de trois « types » de stratégies à la fois différentes et complémentaires : le 
marketing viral, la communication digitale, et le native advertising. La partie 
suivante expliquera les objectifs et les caractéristiques des stratégies citées, et en 
quoi l’utilisation de mèmes internet en tant que contenu permet de les consolider. 
a. Communication digitale, par le marketing viral 
i. Communication digitale 
La communication digitale, c’est d’abord la numérisation des supports 
d’information. Mais au-delà de cela, c’est une stratégie dans laquelle la 
communication d’une entreprise agit sur trois dimensions : le web, les médias 
sociaux, et le mobile. Il s’agissait au départ de mettre en ligne des sites Web 
29 Cognitif : faire connaître la marque et/ou le produit. Affectif : faire aimer la marque. Conatif : faire 
agir la cible. 
30 One shot : une campagne publicitaire destinée à n’être utilisée qu’une seule fois
corporate, puis de rentre l’information plus vivante et interactive avec les médias 
sociaux, et enfin de la rendre plus familière et accessible, grâce au mobile. 
Aujourd’hui, il est quasiment incontournable pour une marque destinée au grand 
public d’élaborer une stratégie propre en matière de communication digitale. Être 
présent sur les réseaux sociaux, c’est une chose : encore faut il y être actif, réactif, 
et proposer du contenu pertinent pour se différencier des autres acteurs présents. 
En effet aujourd’hui toutes les marques sont plus ou moins présentes sur le 
marché digital : elles ont toutes leur site internet, leurs pages sur différents 
réseaux sociaux, etc. Dans ce cas, comment attirer l’attention des internautes, 
noyés par la masse d’information ? Une solution pourrait être le marketing viral : 
proposer un contenu à forte viralité (une vidéo, une image, un jeu) dans l’objectif 
que les internautes le partagent d’eux mêmes. 
42 
ii. Marketing viral 
Le marketing viral est une technique dont l’objectif et de promouvoir une 
entreprise, ou ses produits, à travers un message qui se diffuse largement d’une 
personne à une autre. Ce sont les destinataires de l’offre qui permettent la 
diffusion de ce message : aujourd’hui, cela se fait via le bouche à oreille, les 
réseaux sociaux, les forums, etc. La particularité de ce type de marketing est 
qu’ainsi, les consommateurs deviennent les principaux vecteurs de la 
communication de la marque. Il concentre sous ses différentes formes les trois 
objectifs de la publicité : le cognitif, l’affectif et le conatif. 
Les avantages de ce type de marketing sont les suivants : une diffusion à grande 
échelle qui fait gagner en visibilité, une amélioration de la notoriété et de l’image 
de marque (a priori… car une marque n’est jamais à l’abri d’un mauvais buzz), et 
l’accès à une cible peu réceptive aux médias traditionnels (c’est à dire télévision, 
journaux). 
Certains risques sont que, premièrement, il n’existe pas de « recette magique » 
pour créer un contenu viral : malgré tous les efforts possibles, on ne peut contrôler 
les consommateurs et leur volonté à partager ou non un contenu. Ensuite, une 
marque n’est jamais à l’abri du détournement de son message.
Il est important de souligner le fait qu’une vidéo virale n’est pas un mème. Elle fait 
partie d’un mème, c’est à dire d’un groupe de différents contenus. En effet, un 
contenu n’a de valeur mimétique que grâce à ses dérivés. Cependant, les mèmes 
internet partagent les caractéristiques du contenu viral, et du marketing viral, à 
plusieurs niveaux : ils se diffusent largement, sans effort de la part du créateur, et 
peuvent être détournés. 
Et puisque le principe fondamental du mème internet est son caractère viral et sa 
capacité à être largement diffusé et détourné, alors l’adopter en tant que contenu 
semble un choix tout à fait logique lorsque la marque opère une stratégie dont les 
effets recherchés sont justement la viralité et la participation de sa cible. 
43 
b. Brand content, native advertising et newsjacking 
Le brand content désigne « les contenus produits par une marque à des fins de 
communication publicitaire et d’image »31. Cela désigne en général des contenus 
éditoriaux (conseils, articles de blog, interviews, reportages...) proposés en ligne, 
mais peut également prendre la forme d’autres types de contenus, comme des 
jeux, vidéos, images, etc. Les objectifs peuvent être d’affirmer une image de 
marque, un positionnement, de justifier son expertise ou encore de générer du 
trafic. 
Le native advertising est une forme de brand content32. Il s’agit d’une sorte de 
publicité où les marques proposent des contenus informatifs ou divertissants créés 
par elles. L’objectif n’est pas de parler de la marque ou du produit : simplement 
d’intéresser la communauté ciblée par la marque. C’est donc du brand content, 
mais qui ne parle pas forcément de la marque. Cela permet aux marques de 
créer un imaginaire commun avec leurs consommateurs, dans différents objectifs : 
créer des défenseurs de la marque parmi eux, générer une audience fidèle, 
gagner en influence, et mieux comprendre sa cible (en fonction de ce qu’elle a 
31 Définition « Brand Content », Définitions Marketing : http://www.definitions-marketing. 
com/Definition-Brand-content 
32 RAPHAEL Benoît, « Pourquoi le brand content et native advertising sont des chances pour les 
médias, les marques... et les consommateurs », benoitraphael.com, 2013 
http://benoitraphael.com/2013/12/pourquoi-le-brand-content-et-native-advertising-sont-des-chances- 
pour-les-médias-les-marques.-et-les-consommateurs.html
tendance a partager ou non, par exemple). Ainsi, la publicité est faite dans une 
optique d’empathie et d’interaction avec l’audience, plutôt que suivant un 
traditionnel schéma descendant. Les exemples de native advertising sont 
nombreux : on peut notamment citer les vidéos de Redbull sur le sport extrême, 
ou les vidéos d’Oasis citées plus tôt. 
Dans le native advertising, on peut constater une tendance : le newsjacking. Il 
s’agit du fait de capitaliser sur la popularité d’une actualité pour promouvoir sa 
marque. Cela se fait notamment par le détournement et la parodie : c’est d’ailleurs 
quelque chose qu’Oasis fait très bien : par exemple, elle a tiré profit de Roland 
Garos (évènement n’ayant – a priori – rien à voir avec ses produits) pour poster le 
tweet suivant « Roland Poiros, the place to fruit pour tous les amoureux de la 
raquetsche ! #BeFruit #RG2014 ». Surfer sur une actualité et se l’approprier pour 
y apporter la touche de la marque, c’est une pratique qui fait sourire les 
internautes, et qui fonctionne – il suffit de voir le nombre de partages, de retweet 
et de favoris sur chacun des posts de ce type. En revanche, il faut savoir réagir le 
plus vite possible. 
Un mème internet est comme une actualité : il se propage rapidement et au sein 
d’une large population, et il est éphémère. Ainsi, la réappropriation d’un mème 
internet dans un message publicitaire (au sens large : il peut s’agir d’une vidéo, 
d’une image, d’un tweet... cela dépend également de la nature du mème original) 
s’inscrit dans la même logique de newsjacking, de native advertising, et donc de 
brand content. 
Pour conclure, l’utilisation de mèmes internet dans la publicité peut se faire dans 
le cadre de différentes stratégies : un one-shot pour faire le buzz, ou une stratégie 
digitale qui justifie cette pratique. Dans ce dernier cas, les objectifs recherchés 
sont ceux du marketing viral et du brand content : la création ou l’affirmation de 
l’imaginaire autour de sa marque, et la volonté de voir son contenu être partagé à 
grande échelle pour gagner en visibilité, en attachement émotionnel et en action 
de la part de sa cible. 
Cependant, on peut remarquer qu’en se risquant sur le terrain des mèmes 
internet, les marques peuvent se heurter à deux types de problèmes, du moins 
être confrontées à deux types d’interrogations : le contexte légal de cette 
44
réappropriation (est-ce qu’une marque peut, au même titre qu’un internaute, 
détourner un mème internet à des fins lucratives ?), et en terme d’image de 
marque (est-ce que la cible va apprécier cette allusion faite à la culture internet?). 
La partie suivante expliquera donc dans quelle mesure la publicité a une légitimité 
à réutiliser un mème internet selon ces deux critères. 
45
III) Légitimité 
46 
1. Légale 
Juridiquement, le mème internet est un cas particulier. Alors qu’il est souvent créé 
anonymement et collectivement, à qui appartient-il ? Peut-il être utilisé à des fins 
lucratives ? L’article L. 123-3 du Code de la propriété intellectuelle (voir Annexe 
n°2) stipule que « Pour les oeuvres pseudonymes, anonymes ou collectives, la 
durée du droit exclusif est de soixante-dix années à compter du 1er janvier de 
l’année civile suivant celle où l’oeuvre a été publiée ». Ainsi, un mème étant une 
oeuvre créative comme une autre, il serait illégal de la réutiliser et la diffuser avant 
la durée indiquée, du moins sans accord du/des créateur(s). Cependant, le 
principe même du mème internet étant sa reproduction et son adaptation, cette loi 
s’avère être obsolète. 
a. Flou juridique : copyright et droit d’auteur 
Selon certains, la notion même de « propriété » ne peut être appliquée à des 
objets aussi collectifs que des mèmes. D’autres soulignent le fait que derrière 
chaque même il y a, comme derrière chaque oeuvre créative, quelqu’un qui a créé 
le mème original, ou son contenu sous-jacent. Tant qu’ils sont admissibles à la 
protection du droit d’auteur (ou copyright), cette personne possède tous les droits 
sur le mème. Ainsi, chaque reproduction de ce mème serait potentiellement une 
infraction de ces droits (si faite sans la permission du propriétaire), et pourrait 
donner lieu à une plainte. 
Les mèmes peuvent-ils être soumis au droit d’auteur, ou au copyright ? Dans les 
pays de droits civils comme de Common law, la condition fondamentale pour 
qu’une oeuvre intellectuelle puisse être protégée est l’originalité. Cependant, 
cette notion même d’originalité diffère selon le pays : on considère dans les pays 
de droits civils (comme en France) que l’originalité d’une oeuvre est établie dès 
lors qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. Dans les pays de 
Common law en revanche (comme en Grande Bretagne) on considère qu’une 
oeuvre est originale si elle n’a pas été copiée, et que l’auteur a investi du travail,
de la compétence ou un certain effort dans la réalisation de celle-ci. (Laura 
Dorstter, 2009)33. 
La plupart des éléments considérés comme des mèmes (des slogans ou des 
citations par exemple) ne sont dans tous les cas pas soumis à la protection du 
droit d’auteur. Cependant, il est plus difficile de juger des mèmes comme le Nyan 
cat ou le Keyboard cat, qui sont plus ou moins des oeuvres originales. Alors que 
certains considèrent qu’un mème internet est en lui-même une oeuvre créative 
originale, d’autres considèrent que l’idée d’originalité n’a guère de sens pour ces 
phénomènes, car leur statut de mème n’émerge qu’au fil des réutilisations 
collectives. 
Les créateurs revendiqués des deux mèmes cités précédemment ont pu poser 
des copyrights sur leurs oeuvres, bien qu’ils ne fussent pas réellement les seuls 
auteurs de celles-ci : le propriétaire des droits du Nyan cat par exemple, 
Christopher Orlando Torres, n’a créé en réalité que de la partie visuelle du mème. 
La musique entêtante « Nyanyanyanyanyan » (qui est – selon moi – au moins 
aussi responsable du succès du mème que la partie visuelle) a été créée par le 
compositeur Daniwell trois années plus tôt. Et ces deux éléments (l’image et le 
son) ont été rassemblés dans une vidéo par une troisième internaute, Sara 
Reihani. C’est à partir de là que le phénomène a connu son essor. 
Mais le fait même que Christopher Orlando 
Torres pose un copyright sur le Nyan cat semble 
problématique. Nombreux sont ceux qui pensent 
que les mèmes internet appartiennent au public, 
et qu’il serait insultant de réclamer une propriété 
sur la qualité mimétique de ces oeuvres. La 
valeur culturelle du Nyan cat ne vient pas 
seulement de Torres : elle vient des masses de personnes qui se sont approprié 
cette idée pour créer à partir d’elle. Aussi, ce serait un affront envers cette 
communauté de personnes que de se proclamer propriétaire du mème. 
33 DORSTTER Laura, «Le concept d’originalité dans la législation française du droit d’auteur et 
dans celle du copyright anglais », m2bde.u-paris10.fr, 2009 
47 
Le mème Nyan cat
De plus, il n’est pas toujours facile de traquer ou de prouver la propriété d’un 
mème, le créateur de sa première instance. D’autant plus pour ceux qui viennent 
de sites comme 4chan, où l’anonymat et le non-archivage ne simplifient pas la 
tâche. 
Toutes ces subtilités rendent le statut juridique de la propriété d’un mème internet, 
(et de sa légitimité) encore plus vague. Et si certains mèmes sont soumis (ou 
pourraient être soumis) au droit d’auteur, ils n’en restent pas moins réutilisés, 
remixés et partagés par des milliers d’individus. 
48 
b. Fair use et réappropriation commerciale 
i. Notion de fair use 
A partir du moment où un mème internet est soumis à un copyright, la légalité ou 
non de la réappropriation de celui-ci dépend de la notion de fair use. Le fair use 
(que l’on pourrait traduire par l’usage loyal, raisonnable ou acceptable) est un 
ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle, qui apportent 
des limites et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son oeuvre. Il 
essaie de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits 
d’auteur et l’intérêt public, pour la distribution de travaux créatifs, en autorisant 
certains usages qui seraient autrement considérés comme illégaux. 
Le Copyright Act (une loi sur le droit d’auteur) énumère quatre facteurs pour 
déterminer si l’utilisation d’une oeuvre protégée relève du fair use ou non : le but et 
le caractère de l’utilisation, la nature de l’oeuvre protégée, l’importance de la partie 
utilisée par rapport à l’oeuvre dans son ensemble, et l’effet de l’utilisation sur le 
marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre. 
Ainsi, la réappropriation collective d’un mème internet entre dans la catégorie du 
fair use, puisque les individus participent à sa diffusion, à sa richesse mimétique, 
et y contribuent artistiquement. Cependant, la réappropriation commerciale d’un 
mème internet n’en relève probablement pas, puisqu’il est utilisé à des fins 
lucratives. Si les mèmes internet sont un terrain de jeux pour les internautes, les 
marques doivent prendre leurs précautions avec eux.
La légalité de la réappropriation d’un mème dépend également du bien vouloir de 
son créateur. Nombreux sont ceux qui autorisent leur oeuvre à être distribuée et 
modifiée librement, dans la mesure où ils ne veulent pas empêcher des individus 
d’en avoir une utilisation créative. Cependant, ils n’autorisent pas la 
réappropriation lucrative de leur travail pour autant. Il existe d’ailleurs des licences 
comme Creative Commons qui permettent au propriétaire d’une oeuvre d’en 
interdire l’usage commercial. 
49 
ii. Réappropriation commerciale 
En 2012, les créateurs revendiqués des mèmes Nyan cat et Keyboard cat, 
respectivement Christopher Orlando Torres et Charles Schmidt, ont porté plainte 
contre Scribblenauts, un jeu vidéo créé par Warner Bros (WB) et 5th Cell Media 
(voir Annexe n°3). Ces entreprises étaient accusées d’avoir inclus ces mèmes 
internet dans leur jeu sans aucune licence ou autorisation. En voyant le succès 
phénoménal qu’ont pris le Nyan Cat et le Keyboard Cat, le géant WB y a vu une 
opportunité, et s’est servi des personnages à la fois dans le gameplay du jeu 
vidéo, mais les ont également mis en avant dans des vidéos pour promouvoir le 
jeu en question. 
Les créateurs justifiaient leur plainte en disant que la réappropriation des mèmes 
par WB aurait pour conséquence de cause la confusion chez le public, voire de le 
décevoir. Au final, la dispute a été résolue à l’amiable : les personnages resteront 
dans le jeu vidéo, mais les créateurs recevront dorénavant une compensation 
financière pour celle-ci. 
Le plus intéressant dans cette affaire n’était pas le procès en lui-même, mais la 
réaction du public à son sujet. Les réactions sont diverses. Le premier cas de 
figure est de considérer que ces mèmes internet n’appartiennent à personne 
(malgré le copyright), ni même à Torres ou Schmidt. Ainsi, la réappropriation des 
personnages par Scribblenauts est tout à fait légitime. D’autres considèrent que 
ces mèmes sont la propriété de la communauté d’internautes qui leur ont donné 
cette importance, et qu’il n’est pas normal qu’une marque les réutilise à des fins 
commerciales. Enfin, le dernier cas de figure est de considérer que, ces mèmes
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Les mèmes internet dans la publicité

  • 1. Mémoire de recherche appliquée Présenté devant l’Ecole de Commerce Européenne pour l’obtention du Diplôme de l’ECE N° d’ordre : 331067500 La réappropriation des mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ? Elodie BOUILHOT Promotion 2014 ECE | Etablissement reconnu par l’Etat | Diplôme visé par l’Etat Groupe INSEEC
  • 2. Remerciements Je souhaite remercier en premier lieu l’équipe pédagogique de l’Ecole de Commerce Européenne de Lyon, pour l’enseignement apporté durant ces quatre années études. Mon cursus au sein de l’ECE m’a énormément appris, que ce soit sur le plan académique, professionnel ou personnel. Je remercie également mon directeur de mémoire, M. Serge Kochen, pour sa disponibilité, sa patience et ses conseils avisés. J’adresse de chaleureux remerciements à ma famille et mes amis, pour leur soutien tout au long de ces six mois de travail, leurs encouragements, et aussi pour leurs critiques. Ensuite, je remercie sincèrement chacun des 305 internautes ayant pris le temps de répondre au questionnaire que j’ai posté en ligne : cela m’a réellement permis d’avancer dans ma réflexion, et certains témoignages ont été particulièrement enrichissants dans ce sens. Enfin, je remercie toutes les autres personnes ayant participé, de près ou de loin, à la rédaction de ce mémoire. 2
  • 3. 3 Table des matières Remerciements Table des tableaux et des figures Introduction I) Les mèmes et la culture web 1) Les mèmes a. Evolution du concept i. Définition de Dawkins ii. Définition du mème internet iii. Le Web 2.0 renforce le mème b. De l’underground au mainstream i. Naissance sur 4chan ii. Passage du mème internet dans la culture populaire 2) La culture web a. La culture 4chan, et son impact sur la créativité i. Anonymat ii. Ephémère b. Mèmes : représentatifs d’une culture web ? i. Culture snack ii. Culture du LOL II) Les mèmes internet dans la publicité 1) L’attractivité des mèmes internet pour les marques a. Une opportunité alléchante… i. Attrait du mème internet pour les marques ii. Une cible particulière b. Une stratégie à laquelle peu se risquent 2) Exemples de mèmes internet dans la publicité a. Des marques qui surfent les mèmes i. Exemple d’Oasis ii. Exemple de Wonderful Pistachios iii. Exemple de Glacéau 2 5 6 8 8 8 8 10 13 15 15 17 19 19 19 20 21 22 23 28 28 28 29 30 30 31 32 32 34 36
  • 4. 4 b. Un même mème détourné par plusieurs marques : le « Double Rainbow » c. Quand les mèmes internet sortent de la toile 3) Analyse de la stratégie a. Communication digitale par le viral i. Communication digitale ii. Marketing viral b. Brand content, native advertising et newsjacking III) Légitimité 1) Légale a. Flou juridique : copyright et droit d’auteur b. Fair use et réappropriation commerciale i. Notion de fair use ii. Réappropriation commerciale 2) Aux yeux du public : image de marque a. Méthodologie et typologie i. Justification du questionnaire ii. Typologie de la communauté b. Réactions aux exemples donnés i. Réactions au spot Wonderful Pistachios ii. Réactions au spot Oasis iii. Analyse générale c. Recommandations Conclusion Bibliographie Annexes 1) Annexe n°1 : Règles de l’Internet 2) Annexe n°2 : L. 123-3 du Code de la propriété intellectuelle 3) Annexe n°3 : Extrait de la plainte Scribblenauts / Torres et Schmidt 4) Annexe n°4 : Questionnaire 38 40 41 41 41 42 43 46 46 46 48 48 49 50 50 50 52 55 56 57 58 62 65 66 68 69 70 71 72
  • 5. 5 Table des tableaux et figures 1) Âge des individus interrogés 2) CSP des individus interrogés 3) Segmentation des individus selon le temps passé sur internet pour leur usage personnel 4) Segmentation des individus passant plus de 2 heures quotidiennes sur internet, selon leur utilisation de 4chan et des sites web d’humour 5) Commentaires sur la publicité Wonderful Pistachios 6) Impact de la publicité sur l’image de marque de Wonderful Pistachios 7) Impact de la publicité sur l’image de marque d’Oasis 51 52 54 56 57 58 59
  • 6. Introduction Il existe en France près de 55 millions d’internautes, ce qui représente 83 % de la population. 68 % des français sont également utilisateurs des réseaux sociaux, et un internaute français passe en moyenne 4h07 par jour sur internet.1 Aujourd’hui, quelqu’un qui n’utilise pas internet est quelqu’un d’à part. Les marques aussi se digitalisent. Elles ont compris l’importance qu’internet jouait dans nos vies à tous et y ont vu une opportunité, notamment pour renforcer la proximité avec leurs consommateurs. Car au-delà d’être une plateforme à bannières, pop-ups et interstitiels, internet est surtout un formidable moyen de communiquer et de créer du lien. La culture web (ou culture internet) découle de cette omniprésence de la technologie et d’internet dans nos vies quotidiennes. Elle réfère à une culture dans laquelle les interactions humaines se produisent principalement via des moyens intangibles. Et, comme n’importe quelle autre culture, elle est codifiée : par des normes, des rites, un langage particulier. Elle soude ses adhérents avec des valeurs communes comme la dérision, l’ironie, l’anonymat, le partage. La meilleure preuve de l’explosion de cette culture web est l’apparition du phénomène des mèmes internet. Un mème internet est un élément culturel – souvent de source anonyme et collective – posté sur internet, puis partagé par de nombreux internautes, détourné et parodié. Des sites web comme 4chan donnent naissance aux mèmes internet, qui, grâce à la démocratisation de la culture web, sont partagés et détournés en grande envergure sur d’autres sites internet, notamment les réseaux sociaux. La culture web est globale, et rassemble des individus venant des quatre coins du globe et ne parlant pas nécessairement la même langue. Les marques s’intéressent de plus en plus à cette culture et à ses phénomènes, notamment celui des mèmes internet. Aujourd’hui, certaines se réapproprient des phénomènes internet et les utilisent en tant que contenu dans leurs publicités. 1 Etude de We Are Social Singapore, janvier 2014 : http://www.blogdumoderateur.com/chiffres- 2014-mobile-internet-medias-sociaux/ 6
  • 7. L’objectif de ce mémoire est donc de répondre à la question suivante : La réappropriation de mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ? La réponse à cette question s’articule deux axes : est-ce que le contexte juridique autour des mèmes internet permet aux marques de les utiliser à des fins commerciales ; et quel effet cette réappropriation a-t-elle sur l’image de marque. La première partie sera consacrée à l’étude du phénomène des mèmes internet et de la culture web qui les entoure. Ainsi, j’expliquerai l’évolution de la définition et du concept des « mèmes « avec l’arrivée d’internet, ainsi que leur démocratisation depuis l’avènement des réseaux sociaux. J’expliquerai également l’importance de l’anonymat et de l’éphémérité dans internet, ainsi que leur impact sur la créativité. Enfin, j’analyserai en quoi les mèmes internet sont représentatifs d’une véritable culture web. La deuxième partie traitera de l’utilisation de mèmes internet dans la publicité. En premier lieu, j’expliquerai pour quelles raisons cette pratique peut sembler alléchante pour les marques, mais aussi pourquoi elles sont encore peu à se risquer sur le segment. Ensuite, j’analyserai différents exemples : les cas d’Oasis, Wonderful Pistachios, Glacéau seront notamment traités. Finalement, j’expliquerai à quels types de stratégies de communication cette pratique peut se rattacher. La troisième partie sera consacrée à la légitimité qu’ont les marques à se réapproprier les mèmes internet. En premier lieu, la question sera d’ordre légal : quel est le statut juridique d’une mème internet, et une marque peut-elle s’en servir à des fins lucratives ? Ensuite, j’analyserai l’impact d’une telle pratique sur l’image de marque, et la légitimité perçue par les internautes. Enfin, des recommandations seront données : cette partie sera une sorte de guide pour annonceurs ou publicitaires qui décideraient de capitaliser sur le phénomène des mèmes internet. 7
  • 8. I) Les mèmes et la culture web 8 1. Les mèmes a. Evolution du concept L’expression Mème internet est le résultat de la traduction de l’expression anglo-saxonne « Internet Meme ». Pour expliquer ce phénomène, il faut d’abord commencer par donner une explication du terme « mème » en lui-même. i. Définition du mème selon Dawkins Le biologiste britannique Richard Dawkins, dans son ouvrage « Le Gène égoïste » (1976)2, est le premier chercheur à énoncer cette notion de mème, terme qui provient d’une association entre gene (de l’anglais) et mimetis (du terme grec imitation). Le terme en lui-même a également l’avantage de rappeler les mots « memory » ou encore « même » en français. Selon Dawkins, un mème est « une unité d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société ». C’est tout ce qui est transmis d’un humain à un autre, mais qui n’est pas biologiquement « connecté » au comportement humain. Cette notion fait donc référence à un élément culturel reconnaissable (par exemple : une croyance, un concept, une information, un culte…) transmis et reproduit à l’identique d’un esprit à un autre. La chanson « Joyeux anniversaire », les dictons, les proverbes, les jingles, les théories de complots… sont eux-mêmes des exemples de mèmes puisque repris et imités dans une large mesure. Un mème est donc une idée, un comportement, ou un style qui se propage d’une personne à une autre au sein d’une même culture. Il transporte des idées culturelles, des pratiques, des symboles ou des pratiques à travers un discours, un geste, un rituel, ou n’importe quel type de phénomène avec un thème imitable. Betsy D. Gelb (1997)3 ajoute à la définition de Dawkins l’idée que les mèmes sont des idées qui s’auto-répliquent à travers le temps et l’espace, sans effort particulier de la part de l’auteur originel. 2 DAWKINS Richard, « The Selfish Gene », Odile Jacob, 1976 3 GELB D. Betsy, « Creating ‘Memes’ while creating advertising », Journal of advertising research, 1997
  • 9. Les gènes sont à la génétique ce que les mèmes sont à la culture. Alors que les gènes se répandent verticalement (de génération en génération), les mèmes se répandent horizontalement (au sein d’une société). Dawkins a identifié les trois caractéristiques importantes que possède un mème qui rencontre du succès : la fidélité, la fécondité et la longévité. La fidélité réfère à la capacité que les mèmes ont d’être transmis d’un esprit à un autre tout en restant relativement intacts. Les mèmes ayant du succès le doivent au fait qu’ils soient mémorables, et pas vraiment parce qu’ils sont importants ou utiles. La fécondité fait référence au taux auquel une idée est copiée et partagée. Plus un mème est propagé rapidement, plus il a de chances d’attirer une attention soutenue et d’être répliqué et redistribué. Un mème est prédisposé à réussir s’il est approprié à la culture dans laquelle il évolue : s’il est pertinent par rapport aux intérêts et valeurs des personnes visées, alors il bénéficie de conditions idéales pour accrocher son public et être rapidement transmis d’une personne à une autre sans être entravé ou ralenti par des filtres mentaux ou d’autres formes d’immunités culturelles. La longévité fait simplement référence au fait que plus un mème survit, plus il peut être copié et transmis à de nouvelles personnes (Knobel et Lankshear, 2007)4. Les mèmes évoluent à travers des processus de variation, de compétition, de mutation, ou encore d’hérédité. Chacun de ces éléments font d’un mème son succès de reproduction. Ils se propagent à travers le comportement qu’ils génèrent dans leurs hôtes : ainsi, les mèmes qui se propagent moins pourront disparaître, alors que d’autres pourront survivre et évoluer. Dawkins a relevé les trois conditions qui doivent exister pour que la survie d’un mème ait lieu : la variation (ou l’introduction de changements aux éléments existants), l’hérédité ou la réplication (la capacité à créer des copies de ces éléments), et la capacité à cet élément à être plus ou moins adapté à son environnement qu’un autre. Selon Dawkins, le processus d’évolution a lieu quand ces trois conditions co existent. Ainsi, il considère les mèmes comme un réel phénomène sujet aux lois de la sélection naturelle au sens Darwinien. Dans le dernier chapitre du livre « Le Gène égoïste », Dawkins a utilisé la métaphore du virus pour définir un mème. Et c’est exactement ce qu’il en est. La 4 KNOBEL Michele, LANKSHEAR Colin, « A New Literacies Sampler », Peter Lang Publishing, 2007, p.199-227 9
  • 10. définition que nous pourrions déduire de tout cela est alors excessivement simple : un mème, c’est ce qui devient viral. 10 ii. Définition du mème à l’heure d’internet Le terme a été récemment réapproprié pour nommer des phénomènes viraux sur internet comme Grumpy Cat5, Socially-Awkard Penguin6 ou encore Overly- Attached Girlfriend7 : des contenus qui passent d’une adresse IP à une autre, donc d’un cerveau à un autre, d’une manière qui – au sens large – pourrait être appelée imitation ou mimétique. Le terme Mème internet est ainsi utilisé pour faire référence à un phénomène internet où quelque chose - une idée, un art, une blague, une personne -, passe de l’inconnu le plus complet à une grande popularité très rapidement. Knobel et Lankshear (2007) définissent les mèmes internet comme des modèles contagieux d’information culturelle qui passent d’un esprit à un autre et façonnent les mentalités et comportements d’un groupe social. Similairement, Coleman (2012)8 les définit comme des images, des vidéos, des slogans (etc.) viraux, sous constante modification des utilisateurs, avec une propension à voyager aussi rapidement qu’Internet le permet. Les mèmes internet sont des détournements d’idées originales : évoluant dans une culture de l’anonymat qui encourage la créativité et la participation, ils sont constamment repris, modifiés, réappropriés, parodiés. Le fait que les idées originales soient dénuées d’auteurs officiels les rend susceptibles d’être modifiées librement. Ainsi, au lieu d’évoluer dans une forme de sélection naturelle darwinienne, les mèmes internet sont délibérément modifiés par la créativité humaine. Contrairement à la définition originale du mème de Dawkins, il n’y a dans ces mèmes aucune volonté de copier exactement l’idée, mais celle de la modifier. Ainsi, comme le soulignent Knobel et Lankshear, la définition du mème selon Dawkins doit être réajustée. La notion de fidélité est à nuancer, puisque la plupart 5 Grumpy Cat : http://knowyourmeme.com/memes/grumpy-cat 6 Socially Awkward Penguin : http://knowyourmeme.com/memes/socially-awkward-penguin 7 Overly Attached Girlfriend : http://knowyourmeme.com/memes/overly-attached-girlfriend 8 COLEMAN E. Gabriela, « Phreaks, Hackers and Trolls », New York University Press, 2012
  • 11. des mèmes internet ne restent pas intacts au fur et à mesure qu’ils sont transmis. Alors que l’idée du mème en elle-même reste relativement intacte, son « véhicule » est souvent changé, modifié, mixé avec d’autres ressources. Et ces mutations aident souvent le mème dans sa fécondité : les internautes sont incités à y contribuer en ajoutant leur propre version. Le concept de fidélité doit donc inclure le remix, la modification comme une pratique associée à de nombreux mèmes et qui permet d’appuyer leur longévité. Une autre différence entre le mème internet tel qu’il est expliqué aujourd’hui et le mème selon la définition de Darwin est que dans la mémétique, on parlait d’un mème en tant qu’unité abstraite. Aujourd’hui, un mème a tendance à être un contenu audiovisuel observable, comme une vidéo ou une image. Pour résumer toutes ces visions et ces définitions, nous pouvons dire qu’un mème internet est une idée, simple, propagée à travers le web. Cette idée peut être sous différentes formes : un site internet, un hashtag, un personnage, une expression, une vidéo, une image… Ce mème sera propagé par plusieurs personnes par le biais des réseaux sociaux, des messageries instantanées, des sites web d’humour, et d’autres services internet. 11 Typologie des différents mèmes internet Limor Shifman dans « Memes in Digital Culture »9 a analysé plusieurs mèmes internet et en a conclu qu’il en existait 9 genres différents. Elle explique également que chaque type de mème implique un niveau différent de compréhension de la sous culture digitale des mèmes internet. Les différents genres sont donc : Un exemple du mème « planking » Les réactions Photoshop : le principe de reprendre l’élément important du mème original pour le placer dans différents contextes. 9 SHIFMAN Limor, « Memes in Digital Culture », Massachussetts Institute of Technology, 2014
  • 12. Les « photos fads » : des mises en scènes de personnes imitant une position ou une action spécifique dans différents contextes, dans le but de poster la photo sur le web. Par exemple : le planking, où de nombreuses personnes se sont photographiées dans la même position (voir photo) dans des endroits incongrus. Les flashmobs : rassemblement d’inconnus dans un espace public, qui font soudainement et simultanément un acte particulier, avant de quitter la scène. Les lipdubs, ou la synchronisation des lèvres sur une musique donnée. Les « misheard lyrics » : un jeu sur la traduction phonétique de langues étrangères. Ces mèmes sont fait en transcrivant la phonétique des mots, indépendamment de leur sens, dans un but humoristique. Par exemple, la chanson « I’ve Got the Power » est devenue en allemand « Agathe Bauer ». Les faux trailers : de fausses bandes annonces de film, basées sur la réédition ou le remix de la bande annonce d’origine. Dans de nombreux cas, cela permet de mixer un film avec un autre d’un genre tout à fait différent (comme Brokeback to the Future : un mix entre Brokeback Moutain et Back to the Future. Les LOLcats : le terme sera expliqué en détails en I) 1. b. i. Les images macro : elles représentent la photo d’un personnage avec une légende superposée. Chaque personnage a sa propre symbolique : par exemple, le pingouin de Socially Awkward Pinguin est utilisé pour parler de situations sociales inconfortables (typiquement : « J’ai commencé à raconter une blague… mais j’en ai oublié la chute »), Scumbag Steve est un personnage qui agit toujours de manière irresponsable et immorale, Success Kid est utilisé pour parler d’une situation qui s’est mieux déroulée que prévue… etc. Les rage comics : ce sont des bandes dessinées d’apparence amateur, mettant en avant des visages associés à un comportement typique. Il existe par exemple le Forever Alone (un personnage triste, sans amis), Poker Face (il essaie de 12 Un exemple du Success Kid
  • 13. cacher son embarras dans différentes situations gênantes), Troll Face (il aime ennuyer les gens), etc. 13 iii. Les mèmes : renforcés par le Web 2.0 Dawkins expliquait que les mèmes qui rencontrent du succès partagent trois propriétés basiques : la fidélité, la fécondité et la longévité. Limor Shifman, dans son livre « Memes in digital culture » (2013) explique qu’avec internet, ces trois propriétés sont renforcées. La digitalisation permettant de transférer des informations sans aucune perte, les mèmes en ligne bénéficient d’une meilleure « fidélité » (c’est-à-dire, une meilleure capacité à être copiés) que s’ils étaient véhiculés par un autre média. La fécondité (le nombre de copies faites en une unité de temps) est également augmentée : internet facilite la diffusion rapide d’un message donné. Enfin, la longévité peut potentiellement augmenter elle aussi, parce que l’information peut être gardée indéfiniment dans des archives. Mais l’échelle, la précision et la portée de la diffusion des mèmes internet ne sont que le côté visible de l’iceberg au sujet de la congruence entre mème et internet. Le mème est le meilleur concept pour encapsuler certains des aspects les plus fondamentaux d’internet, en particulier de ce que l’on appelle la culture du web 2.0. Les trois attributs attribués au mèmes sont particulièrement pertinents dans l’analyse d’une culture internet : la propagation graduelle d’individus à une société, la reproduction à travers la copie et l’imitation, et la diffusion via la compétition et la sélection. • Le partage et la fécondité Comme expliqué précédemment, les mèmes peuvent être compris comme des éléments d’information culturelle qui passent d’une personne à une autre, mais qui deviennent progressivement un phénomène social. Ils façonnent les mentalités, les comportements, les actions de groupes sociaux. Cet attribut est compatible avec la manière dont la culture a évolué depuis l’ère du Web 2.0, marquée par l’apparition de plateformes pour créer et échanger du contenu généré par l’utilisateur. Wikipédia, YouTube, Facebook… de nombreux sites sont basés sur la propagation de contenu par les utilisateurs, pour les utilisateurs (selon les mots d’Abraham Lincoln). Ces sites représentent également des voies express pour la
  • 14. diffusion d’un mème : un contenu partagé par des individus sur les réseaux sociaux peut atteindre une dimension massive en seulement quelques heures. De plus, le simple fait de partager des mèmes est une activité désirée et valorisée socialement, puisqu’elle est associée avec ce que Nicholas John (2012)10 a identifié comme la principale caractéristique du Web 2.0 : le partage. En mettant des photographies en lignes, en mettant à jour un statut Facebook, en partageant une vidéo YouTube, en postant un tweet ou un commentaire sur Amazon : l’internaute partage, tant au niveau de la distribution, que de la communication. En partageant une vidéo drôle sur Facebook, l’internaute partage un élément culturel, et en même temps il exprime ses sentiments à son sujet. Et il anticipe le fait que les autres continueront à partager ce même élément. En d’autres mots : partager du contenu, ou partager des mèmes, est maintenant une part fondamentale de ce que les internautes vivent dans la « sphère digitale ». 14 • L’imitation et la fidélité Dans un contexte de communication orale, les mèmes sont entendus, compris, puis retransmis. Seulement, cela ne se fait pas sans transformation du contenu : un individu transmet un mème tel qu’il l’a compris, et tel qu’il peut l’expliquer. C’est le principe même du téléphone arabe, où l’information est graduellement transformée. Dans ce cas, les mèmes changent souvent de forme, et de contenu : il est, par exemple, quasiment impossible de raconter une blague en utilisant exactement les mèmes mots que ceux avec laquelle elle a été initialement contée. A l’ère digitale cependant, les individus n’ont pas à « repackager » les mèmes : ils peuvent propager un contenu tel qu’el en le partageant, envoyant un lien, ou en le copiant. Ce principe d’imitation renforce donc la capacité de fidélité d’un mème, bien que comme expliqué précédemment, les internautes ont tendance à modifier délibérément et créer leurs propres versions de mèmes internet, plutôt que de toujours simplement les copier. 10 NICHOLAS A. John, « Sharing and Web 2.0: The emergence of a keyword », Hebrew University of Jerusalem, 2012
  • 15. 15 • La compétition et la longévité Avec le web 2.0, il est facile d’analyser quel mème a rencontré du succès ou pas, grâce aux données sur les sites internet comme le nombre de vues, le nombre de réponses, etc. Ainsi, l’information à propos de la compétition et du processus de sélection devient de plus en plus influente pour le processus en lui-même : avant de télécharger un album, de reproduire ou parodier une vidéo, les gens prennent en considération leur succès. b. Passage de l’underground au mainstream Les mèmes internet ont récemment monté en flèche. A l’origine des références vaguement obscures partagées par des communautés restreintes d’internautes (typiquement, les utilisateurs 4chan), ils ont entré la sphère globale d’internet. Comment sont-ils devenus si populaires, si mainstream ? i. L’origine des mèmes : l’obscur 4chan Créé en 2003 par Christopher Poole, 4chan.org est un imageboard en anglais. Un imageboard est un type de textboard (une sorte de forum de discussion anonyme) basé principalement sur le partage d’images. Le design du site va droit au but : les utilisateurs postent 4chan, c’est : des images et les commentent à travers 49 25 « boards » (des catégories). Il n’est pas nécessaire millions de visiteurs par mois de s’inscrire ou de s’identifier d’une quelconque manière pour poster sur le site, aussi la création et/ou 1 million la participation à un sujet peut se faire de manière de posts par jour totalement anonyme : aussi la plupart des posts sont 575 attribués au même pseudo par défaut : Anonymous. millions de pages lues par mois Bien qu’il soit possible à un utilisateur de générer un tripcode (un système d’identification sans inscription), ce procédé est très mal vu par la communauté. De plus, les tripcodes peuvent être copiés, il est donc possible de retrouver plusieurs fois le même pseudo dans une même discussion sans que ce soit la même personne derrière.
  • 16. Le site fut à l’origine construit afin d’être le support de discutions relatives aux mangas, aux animes, et dans l’ensemble à la culture japonaise. Les sujets abordés par les utilisateurs sont toutefois devenus si vastes que 57 imageboards sont aujourd’hui en activité, chacun avec un contenu et des règles spécifiques. Il existe par exemple des boards dédiés à la photographie, à la littérature, à la mode, aux jeux vidéo… mais aussi au contenu pour adultes (17 boards de ce genre sont d’ailleurs interdits aux mineurs). The Guardian décrit 4chan comme « à la fois brillant, ridicule et alarmant ». Le site bénéficie aujourd’hui de 25 millions de visiteurs unique chaque mois, d’en moyenne 1 million de posts créés chaque jour, et d’environ 575 millions de pages vues chaque mois. Cependant, le noyau dur du site, sur lequel environ 200 000 messages sont postés chaque jour, est l’imageboard /b/ - Random. Il compte 16 pages, avec 15 threads (fils de discussions) par page. Les threads sont automatiquement effacés soit parce qu’ils ont atteint la dernière page du board (ils remontent systématiquement en première page quand quelqu’un y poste un nouveau message), soit parce qu’ils ont atteint le seuil maximum de réponses (le fil est donc « non-remontable » : si long que l’on ne peut plus voir le post originel). Ce système encourage les utilisateurs à poster en permanence de nouveaux contenus, et il permet d’éviter tout archivage afin de maintenir un anonymat maximal. Ainsi, un thread peut rester visible de quelques minutes à plusieurs heures. Comme son titre le suggère, le board /b/ n’a aucun thème fixé et son contenu n’est pas structuré. De plus, à cause du nombre de posts chaque jour, il est quasiment impossible d’en réguler le contenu et d’éliminer les messages indésirables : c’est ce qui fait la mauvaise réputation du site, puisque l’on peut y retrouver de tout et n’importe quoi… y compris parfois du contenu illégal, pédopornographique, gore, haineux, etc. Cependant, si le site est assimilé par beaucoup comme les égouts d’internet, il est également décrit comme une formidable usine à mèmes. D’après Moot (alias Christopher Pool, le créateur de 4chan), tout le contenu né sur 4chan qui a réussi à sortir du site et à devenir populaire vient de /b/. Bien que l’on ne manque pas d’exemples de mèmes créés sur /b/, peut être que le plus connu de tous est le phénomène des LOLcats. Ce phénomène est né de la création des 16
  • 17. Caturdays, où les utilisateurs postaient chaque semaine leur propre version d’un LOLcat : une image-macro (une image avec un texte superposé) à vocation humoristique avec une photo de chat, sur lequel était juxtaposée une légende délibérément mal orthographiée. Un autre exemple : Repensez à 2007. Avez-vous déjà cliqué sur un lien YouTube et entendu de façon inattendue la chanson de Rick Astley « Never Gonna Give You Up »11 ? Si oui, vous faites partie des 20 millions de personnes à Exemple d'un LOLcat vous être fait rickrolled cette année-là. Les mèmes sur 4chan circulent largement, sont constamment modifiés, et réussissent l’exploit d’unir un groupe d’individus anonymes, qui autrement seraient dispersés et déconnectés. Les mèmes internet étaient, au début, réservés à la communauté restreinte des utilisateurs de 4chan : bien que viraux, ils n’atteignaient pas les internautes lambda, si bien que la connaissance des mèmes était un véritable signe d’appartenance à cette communauté et de crédibilité dans celle-ci. Aujourd’hui, une grande partie des internautes est conscient du phénomène des mèmes internet (sans toutefois nécessairement connaître le terme), notamment grâce à des sites web plus accessibles comme les réseaux sociaux, les sites web d’humour et les générateurs de mèmes. 17 ii. Le passage du mème internet dans la culture populaire Même si l’expression est paradoxale, on peut aujourd’hui parler d’une démocratisation des mèmes internet. Auparavant réservés à une communauté d’initiés, ils sont aujourd’hui connus par une large population et attirent l’intérêt. On peut expliquer cette expansion grâce à plusieurs raisons : l’apparition des générateurs de mèmes, et l’invasion des mèmes sur des sites plus grand public que 4chan. Il existe aujourd’hui de nombreux sites internet permettant de créer simplement un mème : quickmeme, memegenerator, ragegenerator, DIYlol… Ces sites 11 Rick Astley – Never Gonna Give You Up https://www.youtube.com/watch?v=dQw4w9WgXcQ
  • 18. contribuent à la popularité des mèmes puisqu’ils permettent à des individus de créer rapidement, gratuitement et simplement leurs propres versions d’un mème donné, à partir d’images macro directement disponibles sur le site. Les utilisateurs n’ont pas besoin de compétences en web ou en design, et peuvent donc aisément participer à la création et à la distribution de mèmes. Attirés par la possibilité de voir des mèmes devenir très populaires rapidement, les individus sont encouragés à créer les leurs, ce qui augmente la diversité et améliore le contenu des mèmes internet originaux. (Chen, 2012)12 Ces sites font également office d’encyclopédies des différents mèmes populaires des dernières années, ce qui contribue à leur longévité. Cependant, les générateurs de mèmes ne sauraient être la seule explication de l’ampleur que prennent aujourd’hui les mèmes internet, puisque les images macro sont loin d’être les seuls formats utilisés : comme expliqué précédemment, les mèmes peuvent être de toute nature (comme par exemple une vidéo, un hashtag, un slogan, une chanson…). 4chan étant le lieu de naissance de la plupart des mèmes, ceux-ci sont partagés et modifiés à travers différents sites internet, les « meme hubs » d’après Limor Shifman (2014). Parmi eux se trouve Reddit, un site communautaire permettant aux utilisateurs de soumettre leurs liens et de voter pour les liens proposés par les autres utilisateurs. Ainsi, les liens les plus appréciés du moment se trouvent affichés en page d’accueil. Dans la même veine existe Tumblr, plateforme de micro-blogging qui permet à ses utilisateurs de poster vidéos, photos, textes, de s’abonner à d’autres internautes et de reblogger du contenu. Les mèmes sont également postés à grande échelle sur des sites web d’humour comme 9gag ou likealaugh. Et enfin, ils sont partagés sur les réseaux sociaux (majoritairement Facebook, les mèmes ayant largement moins de succès sur Twitter ou Google +). On peut considérer que les mèmes rentrent dans la culture populaire à partir du moment où ils sont partagés en grande envergure sur les réseaux sociaux. Par exemple, on peut citer l’incroyable succès de mèmes comme le Harlem Shake, ou 12 CHEN Carl, « The Creation and Meaning of Internet Memes in 4chan: Popular Internet Culture in the Age of Online Digital Reproduction », Habitus, Yale University, 2012 18
  • 19. encore Gangnam Style de PSY, qui ont tous deux donné naissance à d’innombrables parodies. Dans certains cas (comme ceux-là), il arrive même qu’un mème internet prenne une telle ampleur qu’il arrive à sortir de la sphère du web, et devienne un réel phénomène dans les médias traditionnels (TV, journaux) et IRL (In Real Life). 19 2. La culture web a. Internet et créativité Comme expliqué au-dessus, 4chan est le lieu de création de la grande majorité des mèmes internet. En effet, sa structure est particulièrement bénéfique à la créativité de ses utilisateurs : l’anonymat et le caractère éphémère des publications en font un terrain de jeu parfait pour créer, modifier, améliorer. De nombreux chercheurs considèrent que l’identité des utilisateurs et l’archivage des données sont des outils centraux dans le design de communautés en ligne. Ils soutiennent que l’utilisation de pseudonymes ou des vrais noms favorise la confiance et la coopération, alors que l’anonymat rend la communication impersonnelle et ébranle la crédibilité. C’est par exemple le cas de Facebook, dont le CEO Mark Zuckerberg dit d’ailleurs que les pseudonymes sur le net prouvent un manque d’intégrité. Similairement, la norme est aussi à la conservation des données : les moteurs de recherche peuvent faire ressortir à la surface du contenu qui date de plusieurs années, les réseaux sociaux permettent à leurs utilisateurs de consulter des photos prise des années plus tôt, et les communautés en ligne attendent souvent des nouveaux arrivants de lire leurs archives (Millen, 2000)13. Mais 4chan (et /b/, plus particulièrement) réussit, alors qu’il est presque entièrement anonyme et extrêmement éphémère. Cette partie expliquera donc pourquoi, ce que l’on peut retenir de cette culture particulière, et son impact sur la créativité des utilisateurs. 13 MILLEN R. David, « Community portals and collective goods: conversation archives as an information resource », Proceedings of the 33rd Hawaii International Conference on System Sciences, 2000
  • 20. 20 i. Anonymat Comme expliqué précédemment, l’anonymat sur 4chan ne se limite pas à l’utilisation d’un pseudonyme. Ici, les publications sont déconnectées de toute identité. L’anonymat donne un effet de désinhibition qui peut encourager les comportements antisociaux et la publication de contenus indésirables. De plus, comme la grande majorité des publications (environ 90%) sont signées « Anonymous », cela suggère une désindividualisation et un comportement de foule. Il peut donc sembler sans danger pour les utilisateurs de se comporter d’une manière dont ils n’oseraient jamais agir dans la vraie vie, puisque leurs actions ne vont pas venir les « hanter » par la suite. Cependant, les dynamiques de 4chan et de /b/ suggèrent que l’anonymat peut avoir un effet positif pour la communication. La désinhibition peut être bénéfique : dans des fils de discussion où les utilisateurs se conseillent entre eux, l’anonymat peut offrir une sécurité qui rend les conversations plus intimes et ouvertes. Mais surtout, l’anonymat peut encourager l’expérimentation de nouvelles idées et de nouveaux mèmes : l’échec est assez courant (la plupart des fils de discussions ne reçoivent aucune réponse), mais l’anonymat masque cet échec, adoucissant le fait d’être ignoré ou d’être délibérément critique. Dans une communauté en ligne habituelle avec une identité présente (que ce soit via un pseudo, ou son vrai nom), un mauvais historique de publications ne s’efface pas. Sur 4chan, c’est sans importance. Ainsi, les internautes sont encouragés à constamment créer, publier, modifier, commenter ; sans craindre le regard et le jugement de l’autre. Et comme l’a dit Moot, le créateur de 4chan : c’est parfois quand les gens sont cachés, insouciants de leur réputation ou de leur identité sociale, qu’ils disent et font des choses intéressantes. ii. Ephémère L’éphémérité du site est renforcée par le volume massif de nouvelles publications à chaque seconde sur le site. Comme expliqué précédemment, les fils de discussions sont balayés au fur et à mesure que de nouveaux sont créés. Quand un utilisateur répond à un fil de discussion, celui-ci est re-propulsé sur la première
  • 21. page. S’il atteint le bas de la dernière page, il est supprimé et l’URL redirige vers une erreur « Page Not Found ». Ce processus entier peut prendre à peine quelques minutes. Mais bien que le site soit éphémère, les utilisateurs ont développé d’autres mécanismes pour garder le contenu de valeur. Par exemple, ils font souvent référence à un « dossier /b/ » qu’ils auraient gardé sur leur ordinateur, pour retrouver le contenu qu’ils apprécient plus tard ou pour le modifier. Ils n’hésitent pas non plus à demander aux autres internautes de fouiller dans leurs archives personnelles si besoin. Ils ont également développé des sites comme 4chanarchive.org pour garder des topics particulièrement importants. Ainsi, cette sélection naturelle permet à la communauté de ne garder que les meilleurs mèmes. Pour garder un contenu en particulier, les utilisateurs doivent prendre la décision explicite de le sauvegarder sur leur disque dur et de le reposter par la suite. De plus, cette éphémérité permet d’inciter une plus grande participation collective. On pourrait penser que les utilisateurs ne verraient aucun intérêt à contribuer au site si leurs actions ont de grandes chances d’être effacées en quelques minutes. Cependant, ils ont plutôt tendance à répondre rapidement et à garder la conversation active pour que le fil de discussion qui les intéresse ne disparaisse pas. Ainsi, pour reprendre le caractère de longévité d’un mème selon Dawkins, il est ici amélioré : un mème ne survit que selon le bien-vouloir des individus concernés. Alors que de colossaux acteurs d’internet comme Facebook ou Google font évoluer leurs modèles dans la direction de l’identité et de l’archivage des données, il est important de comprendre ce qu’il se passe dans les larges communautés qui occupent la position inverse. Les communautés comme celle de 4chan ont un impact immense sur la culture internet, et le caractère anonyme et éphémère de la communauté de /b/ joue un rôle fort dans cette influence culturelle. 21 b. Une snack-culture, ou une culture à part entière ? Knobel et Lankshear expliquent que la fécondité d’un mème est généralement influencée par l’existence d’au moins une de ces caractéristiques : un élément humoristique (allant de l’humour original et décalé à l’humour potache, au bizarre,
  • 22. aux parodies, à l’ironie), une riche intertextualité (par exemple, des références à la culture populaire, à la vie de tous les jours, à des phénomènes), et à des juxtapositions. Peut-on dire que les mèmes sont les symboles d’une véritable culture, ou ne sont-ils simplement qu’un ramassis d’idioties ? Les mèmes internet tendent à servir un des quatre objectifs suivant : un commentaire social (par exemple des critiques politiques, qui sont parfois sur le ton de l’ironie), de l’humour absurde (parodies, images photoshoppées…), promouvoir la culture otaku (l’équivalent japonais du geek : un fan de mangas, animes, jeux vidéo), ou encore pour diffuser un canular. 22 i. Une « snack-culture »… mais pas que Le contenu qui circule dans cette communauté, et les mèmes internet en général peuvent sembler simpliste et dénués de sens. Henry Jenkins appelle ce phénomène une « snack-culture ». Il explique que nous engloutissons aujourd’hui la culture populaire de la même manière dont nous dévorons des bonbons ou des chips : dans des bouchées bien packagées, faites pour être consommées de plus en plus souvent et de plus en plus rapidement. Cette snack-culture, en plus d’être « savoureuse et dépendante », implique que ces snacks sont dénués de valeur nutritionnelle, triviaux, et une perte de temps. Et que si ce contenu sans intérêt est répliqué par les consommateurs, alors ils sont irrationnels et incapables d’échapper à cette infection. Pour ce qui est de leur valeur réelle en termes de création culturelle et artistique, les mèmes internet semblent chevaucher des lignes très fines entre innovation douteuse et kitsch ironique, entre esprit mordant et vulgarité. Mais peu importe au final si les utilisateurs produisent ou non de la « bonne culture », ces mèmes internet ont le pouvoir d’influencer significativement les valeurs sociales de la communauté. Les mèmes font partie de ce que l’on pourrait appeler une « culture du remix ». Lessig (2008)14 explique la différence entre une culture R/O (« Read/Only ») et une culture R/W (« Read/Write »). La première fait référence à la consommation 14 LESSIG Lawrence, « Remix: Making Art and Commerce Thrive in the Hybrid Economy », 2008
  • 23. d’artéfacts culturels et des médias. En d’autres termes, les individus et les communautés consomment les médias sans nécessairement contribuer à la création de la culture populaire. La deuxième implique la consommation et la création de culture. Dans une culture R/W, les individus ajoutent à la culture qu’ils consomment en créant et recréant de la culture autour d’eux. Bien que la montée en importance des médias de masse au 20e siècle n’ait pas rendue la culture R/W complètement obsolète, il y a eu une tendance dans laquelle les individus consommaient la culture populaire sans nécessairement y contribuer. Aujourd’hui, la culture internet et ses faibles barrières à l’entrée font qu’ils peuvent plus facilement être aussi les producteurs et les distributeurs de cette culture, et pas seulement les consommateurs. Et comme les mèmes sont publiés par « le peuple », ils peuvent être révélateurs de nouveaux traits de consommation au sein d’une société, comme par son exemple son besoin grandissant de gratification immédiate. 23 ii. Une culture du LOL, à différents objectifs La plupart des mèmes appellent et se reposent sur la créativité de personnes qui, soit apprécient les idées absurdes, ludiques, et véhiculant peu de contenu « sérieux » ; soit apprécient les idées humoristiques venant soutenir un contenu sérieux (souvent, une critique sociale). L’humour est un très puissant facteur de cohérence pour les internautes qui se considèrent membres de cybercommunautés. La culture internet a d’ailleurs son propre langage (en plus des différents acronymes) : le LOLspeak. On peut le retrouver dans la plupart des mèmes basés sur des images macro (comme par exemple les LOLcats, ou doge15). C’est un anglais écorché, délibérément incorrect. Il existe d’ailleurs des analogies entre le langage enfantin et celui-ci, dans un objectif humoristique. 15 Doge : http://knowyourmeme.com/memes/doge Exemple du mème Doge
  • 24. 24 • L’importance de la juxtaposition Selon Limor Shifman, une caractéristique fondamentale de nombreux mèmes internet est l’incongruité entre deux ou plusieurs éléments au sein de ceux-ci. Plus spécifiquement, on voit souvent une personne qui semble complètement en décalage avec le contexte et la situation autour de lui : on peut citer par exemple le mème « Disaster Girl », qui représente une petite fille souriant à la caméra alors que l’on peut voir derrière elle une maison brûler. Cette incongruité appelle à des réponses mémétiques : puisque le personnage représenté semble hors contexte, la réappropriation de ce dernier dans d’autres contextes semble presque naturelle. De plus, elle donne l’impression d’une image déjà Photoshoppée, et ouvre donc la voie à des réactions basés sur la retouche d’image. Les internautes qui capitalisent sur l’incongruité représentée dans le mème original tendent à faire deux choses : accentuer le ridicule associé à cette incongruité en présentant des juxtapositions encore plus puissantes (par exemple, la « Disaster Girl » n’a pas seulement assisté à l’incendie de sa maison, elle était aussi devant la chute des tours au 11 septembre) ; ou le réduire en repositionnant le personnage dans un contexte qui semble plus approprié. • L’humour comme outil de critique sociale L’ironie et l’humour satirique sont souvent utilisés dans les mèmes dont le but est de critiquer un phénomène social. Par exemple, de nombreux mèmes détournent des contenus culturels pour critiquer l’industrie de la culture et la façon qu’elle a de produire du contenu – qu’ils jugent – sans valeur et sans valeur sociale. Le site blackpeopleloveus.com est un autre exemple de mème dont le but est de faire une critique sociale. Il s’agit d’un site recensant des commentaires ironiques, voire acerbes, sur le paternalisme libéral américain blanc envers les afro-américains. Ce faux site personnel comprend une série de « témoignages », qui insistent sur la condescendance qui peut avoir lieu dans les jugements naïfs que peuvent avoir certaines personnes sur les différences culturelles : par exemple, des personnes blanches prouvant leur « solidarités » en clamant leur goût pour la musique rap.
  • 25. Un autre exemple de mème humoristique pour critiquer un phénomène politique pourrait être le mème Bush-Blair Love Song créé par le groupe de musique suédois Read My Lips. Le groupe a rassemblé des centaines de fragments de vidéos avec George Bush et Tony Blair, et a synchronisé les mouvements de leurs lèvres et leurs actions avec leur chanson d’amour « Endless Love »16, pour suggérer une romance entre les deux protagonistes. La vidéo se dresse comme une condamnation de l’alliance militaire entre Bush et Blair pour envahir l’Iraq. 25 • L’humour « for teh lulz » Les communautés internet qui produisent les mèmes semblent couvrir toute la gamme de l’humour post-moderne selon Lipovetsky (1983). D’un côté, il existe des mèmes qui démontrent un sens de l’humour qui évite la confrontation, et qui semblent respecter ce qui semble approprié. De l’autre, il existe des mèmes dont l’humour semble immoral, malveillant, voire violent. La plupart des mèmes de ce type s’inscrivent dans 3 genres différents : le Fail, le What the fuck, et le Win (pour reprendre les termes de Limor Shifman). Le Fail marque des moments d’incompétence sociale, d’embarras, de malchance et est par exemple incarné par des personnages comme le Socially Awkard Penguin, ou le Forever Alone. Ces mèmes sont souvent liés à des scénarios de la vie de tous les jours : se cogner le petit doigt de pied dans un meuble, voir quelqu’un refuser ses avances, ne plus avoir de batterie sur son téléphone à un moment important… Autant de situations triviales qui font que la plupart des individus, en voyant ces types de mèmes, y associent leur propre vécu et leurs propres expériences. Ces petits évènements de tous les jours, ces anecdotes universelles, ont une large propension à être partagées : cela se prouve par exemple par le succès de YouTubeurs comme Norman fait des vidéos ou Cyprien, dont les vidéos atteignent des millions de vues en parlant de manière humoristique de sujets qui – au sein de leur public – font écho (les rendez-vous amoureux, les soldes, la cigarette, par exemple). Le What The Fuck (ou « WTF memes ») concerne les mèmes où l’échec n’est pas lié au protagoniste mais aux autres, et où la situation le laisse avec l’éternelle 16 Read my lips – Endless Love : https://www.youtube.com/watch?v=F1hQ7iyI0JI
  • 26. question : WTF ? Les « autres » dans de tels mèmes sont représentés comme en dehors du groupe : ils manquent d’intelligence et discernement. Enfin, les mèmes Win représentent des situations victorieuses de la vie de tous les jours. Comme expliqué précédemment, les mèmes internet représentent souvent un élément décalé par rapport à son contexte : par exemple, des mèmes très connus représentent des photos ou des dessins d’hommes politiques avec une courte phrase qui appuie l’expression du protagoniste. Pour n’en citer que quelques-uns, il existe notamment le mème « Not bad » avec Barack Obama, ou encore le « Give this man a cookie » de Vladimir Poutine. Cela peut également se présenter sous la forme d’une parodie d’un extrait de film, dont les dialogues sont modifiés. L’exemple le plus connu est le mème Hitler Reacts, basé sur une scène du film allemand La Chute (Oliver Hirschbiegel), où on voit Hitler hurler sur ses lieutenants et autres gradés. Elle a donné naissance à de nombreuses parodies humoristiques où les dialogues originaux en allemands sont conservés, mais où des sous titres dans une autre langue concernant des évènements anachroniques sont ajoutés. De cette façon, Hitler a réagi a de nombreux phénomènes, dont d’autres mèmes internet : par exemple au Double Rainbow, Gangnam Style, la mort de Michael Jackson, ou encore au fait que le nouvel iPad n’ait pas de mode multitâches. Il n’y a donc aucune limite dans les sujets abordés : quand on en vient aux mèmes internet, on peut – et on doit – rire de tout. Internet est régi par le LOL (Laughing Out Loud). Le sous forum /b/ de 4chan avait d’ailleurs écrit en 2006 une liste des 47 règles de l’internet (voir Annexe N°1) : il est intéressant d’en souligner les règles n°20 « Rien ne doit être pris au sérieux » et n°42 « Rien n’est sacré ». Les exemples de mèmes humoristiques et absurdes ne manquent pas, et c’est d’ailleurs ce qui fait que de nombreuses personnes considèrent la culture web et les mèmes comme un ramassis de bêtises d’adolescents. Dans la majorité des cas, les mèmes sont créés « for the lulz » (dans le seul but de rire) et n’ont aucune autre prétention. L’expression suggère une tendance inconditionnelle et sans 26 Exemple du mème B. Obama
  • 27. bornes à plaisanter à propos de sujets considérés en dehors des limites, pour des raisons de gravité ou de compassion. Les mèmes sont en quelque sorte une « private-joke globale ». Ils font un clin d’oeil à tous ceux qui connaissent le phénomène, et ceux en dehors de ce cercle peuvent parfois avoir des difficultés à le comprendre. Ils sont représentatifs d’une culture à part entière : à la fois compréhensible globalement puisque très visuels, certains le sont moins car ils nécessitent d’avoir une véritable culture digitale. En ce sens ils donnent le sentiment d’appartenir à une communauté à part, celle d’internet. La culture web est tendance, aussi il semble logique que certaines marquent veuillent rebondir sur le phénomène et cible cette part restreinte d’internautes attirée par la culture web et les mèmes. La partie suivante expliquera les différentes manières dont les marques tentent de se réapproprier cette culture, et dans quel objectif. 27
  • 28. II) Les mèmes internet dans la publicité Aujourd’hui, il ne semble y avoir sur internet que peu de place pour la publicité véritablement créative : les moteurs de recherche sont pollués par des liens sponsorisés, les pop-ups vous assaillent au moindre clic, les bannières aux couleurs criardes et parfois même mal orthographiées vous piquent les yeux. La majorité de la publicité que l’on peut retrouver sur le web ne vient pas de grands directeurs artistiques. Ces encarts « Vieux trucs de grand-mère », « C’est prouvé, ça marche ! » sont le résultat d’algorithmes qui jetteront n’importe quoi sur vos écrans, pour voir si ça fonctionne. Avec les technologies d’optimisation, de placement de produit, les moteurs de recherche basés sur les liens sponsorisés, les coûts des médias qui changent en temps réel et les fonctionnalités de géolocalisation pour les appareils mobiles, il serait facile de conclure que la publicité est aujourd’hui plus une science qu’un art. Mais (et bien heureusement), toutes les marques ne se contentent pas d’utiliser le web de cette manière, et offrent encore des publicités créatives sur le net. Et une manière d’utiliser internet comme autre chose qu’un simple média, c’est aussi de comprendre qu’il est source d’une véritable culture : c’est tenter de comprendre ses codes, et de jouer avec ces derniers pour proposer du contenu innovant et créatif. 28 1. L’attractivité des mèmes internet pour les marques a. Une opportunité alléchante La culture Internet ne cesse de prendre de l’ampleur. Par le biais des mèmes, de l’émergence de certains codes et ses célébrités, celle-ci se réinvente constamment, évolue, et s’impose comme une culture à part entière qu’il faut comprendre. Et comme toute tendance populaire, certains annonceurs se sont empressés de vouloir capitaliser dessus, et de les utiliser à des fins commerciales. C’est parfois réussi, parfois un peu plus à la traîne, mais certains se risquent au jeu.
  • 29. 29 i. L’attrait du mème De par leur caractère mimétique, il semble tout à fait logique de se réapproprier ce type de contenus. Les mèmes, c’est le rêve de toute marque : un contenu qui est partagé à grande échelle, détourné, copié, connu, sans effort ou presque de la part du créateur… Contrairement à d’autres cas, ce n’est pas parce qu’un internaute a déjà vu la version originale d’un mème internet qu’il en ignorera les versions suivantes : c’est même la raison pour laquelle il leur prêtera attention. De plus, le détournement et la copie étant la base du mème internet, le terrain peut sembler tout tracé : et si des internautes lambda sont capables de créer des images avec un tel potentiel viral, alors qu’en serait-il si ça venait de créatifs professionnels de la communication ? On est en droit de penser que la publicité (annonceurs ou agences) serait en mesure de proposer du contenu basé sur les mèmes internet, mais que grâce à ses moyens il soit de meilleure qualité que ce que l’on trouve habituellement sur le net. Et si des millions d’internautes partagent, copient et parlent d’une vidéo de mauvaise qualité représentant un chat jouant du piano, alors on ne peut qu’espérer qu’une vidéo similaire mais « meilleure », aurait également une grande propension à devenir virale. Parce que l’objectif des publicités détournant des mèmes internet, c’est bien celui-ci : la viralité. Le plus important, c’est de faire parler de sa marque. Ensuite, reprendre des phénomènes internet dans une campagne de communication donne à une marque une image jeune, moderne et ancrée dans les codes du web. Et quand la cible d’une marque est jeune, moderne et ancrée dans ces codes : le meilleur moyen de lui parler, c’est encore de lui parler avec le langage qu’elle comprend. Utiliser les mèmes internet, c’est montrer au public que l’on est conscient de sa culture web si particulière, qu’on la comprend et qu’on la partage. C’est faire un clin d’oeil à chaque internaute, et attendre que ces derniers apprécient le geste. C’est avoir reconnu qu’internet n’était pas seulement un média, mais aussi la source d’une véritable culture web. C’est vouloir dépasser le simple principe de communication, et parler à une cible bien spécifique avec des mots qu’elle comprend, des codes qui lui parlent, des phénomènes qu’elle reconnait et dans lesquels elle est activement impliquée.
  • 30. 30 ii. Une cible bien particulière La cible de ces publicités, c’est donc ces internautes qui passent énormément de temps sur internet, pour le plaisir, et qui est consciente du phénomène des mèmes internet (sans en connaître nécessairement le terme, par ailleurs). C’est une catégorie d’individus qui partagent les mêmes valeurs, qui suivent les mêmes codes. Cette cible, avant d’être découpée en « utilisateurs courants » ou « connaisseurs », c’est avant tout la génération Y. La génération Y regroupe des personnes nées approximativement entre les années 1980 et 2000. Ces individus sont nés dans un monde où l’ordinateur et internet étaient de plus en plus accessibles : aussi, ils ont évolué avec le web, et connaissent ses codes. Les individus appartenant à la génération Y sont souvent considérés comme des « consomm’acteurs » plutôt que comme des consommateurs. Ce, parce qu’ils sont proactifs dans leur démarche de recherche d’information, qu’ils partagent du contenu, créent du contenu (site web perso, article de blog… ou mème). De part leurs habitudes de consommation face au digital, ils acceptent de plus en plus difficilement la publicité classique sur le net (pop-ups, bannières). De plus, ils interagissent de manière différente avec les marques que les autres générations : il existe aujourd’hui une réelle volonté de dialogue entre consommateurs (par exemple, sur des forums), et entre consommateurs et marques (qui a causé l’apparition du Community management, par exemple). Enfin, ils sont de plus en plus réticents aux techniques de « push marketing » : si une marque veut les aborder, il faut donc un contenu particulièrement adapté à leurs attentes. Utiliser les tactiques habituelles sur une cible différente est inefficace. Afin de toucher cette cible sur internet, il faut donc adopter une stratégie digitale adaptée. b. Une stratégie à laquelle peu se risquent Alors que les publicitaires créaient des mèmes, aujourd’hui la meilleure stratégie pourrait être de surfer sur ces derniers. Pourtant, les mèmes internet – et la culture web en général – restent encore très peu utilisés par les agences de publicité. Et ce, pour plusieurs raisons. La première est que ça complexifie trop internet dans l’esprit des annonceurs. Pour la majorité des marques, internet est
  • 31. un média sur lequel on met des bannières publicitaires, et éventuellement du Community Management. La culture internet n’est pas facile à comprendre, et très peu en parlent : elle reste un concept flou, et est sous-estimée (quand on parle de culture internet et de mèmes, la plupart pense d’abord à des images à l’humour parfois douteux ou aux inutiles et innombrables photos de chats partagées sur internet). Seulement, comme l’auteur du blog Cyroul.com l’a dit : « Comment peut-on communiquer à sa cible si on ne connait pas les codes de sa culture, ses raccourcis sémantiques, ses ponctuations imagées, ses usages et qualités d’interaction ? » La réponse est simple : on ne peut pas. Ensuite elle fait appel à des compétences qui n’existent pas en agence de publicité : le folklore digital et la culture internet sont dépendants de ressorts psychologiques, philosophies, sociaux. Typiquement le genre d’information que l’on ne retrouve pas dans la presse spécialisée en marketing digital… Ainsi, les agences attendent que ce soit une vraie demande du client annonceur (comme par exemple pour le Community Manager en 2008) avant d’investir sur ces compétences. De plus, des questions légales relatives aux droits d’auteur se posent. Bien que les mèmes soient issus d’un effort anonyme et collectif, à qui appartiennent-ils ? Peuvent-ils être utilisés à des fins lucratives ? Hors, quand une marque cherche à communiquer, un procès pour plagiat est exactement ce dont elle n’a pas besoin… Cependant, certains annonceurs choisissent tout de même de prendre le risque d’utiliser la culture internet et ses mèmes dans leurs campagnes de communication. Dans la partie suivante, je présenterais différents exemples de ce qui a été fait sur le sujet, puis j’expliquerais l’objectif recherché par les marques avec de telles publicités. 31 2. Exemples de réappropriation de mèmes internet Les exemples de marques utilisant les mèmes internet dans leur stratégie de communication ne sont pas nombreux, mais ils témoignent tout de même d’une tendance grandissante dans la communication. De même, les Community Managers s’amusent de plus en plus souvent à créer ou relayer des mèmes
  • 32. internet (plus ou moins en rapport avec leur marque) sur les comptes de leurs entreprises sur les réseaux sociaux. 32 a. Des marques qui ont surfé sur les mèmes internet : exemples d’Oasis, Glacéau et Wonderful Pistachios Certaines marques ont a leur actif plusieurs vidéos publicitaires – destinées au web – qui détournent des mèmes internet : je parlerai ici des cas d’Oasis, Glacéau (avec Vitamin Water et Smart Water) et Wonderful Pistachios. Cette utilisation s’est faite dans le cadre de stratégies différentes : alors qu’Oasis parodie les mèmes internet dans la logique d’un story-telling basé sur le détournement et ancré dans les codes du web, Wonderful Pistachios l’a fait par habitude d’utiliser des « célébrités » connues du grand public dans ses spots, et Glacéau s’est plutôt servis du phénomène dans une stratégie de one-shot, pour faire le buzz à court terme. i. Exemple d’Oasis : le grand gagnant du web Oasis est une marque considérée par beaucoup comme la meilleure en matière de communication digitale. Elle été l’une des premières marques à miser massivement sur le 2.0 : certains de ses évènements, comme le « Fruit of the Year » en 2010, furent centrés sur les réseaux sociaux : alors qu’habituellement ils servaient plutôt de relais. Sa stratégie est basée sur le story telling (définition Wikipédia : « méthode utilisée en communication fondée sur une structure narrative du discours qui s'apparente à celle des contes, des récits ») : par exemple, elle mets actuellement ses personnages en scène dans une web-série composée de plusieurs épisodes sortant chaque mois. Et ce story teling est essentiellement basé sur le détournement : dans ses vidéos, Oasis fait allusion à divers éléments de pop culture, et en fait des jeux de mots avec les fruits. Dans le 1er épisode de la web-série, Le Cocoloc, ils font par exemple un clin d’oeil au célèbre jeu Candy Crush en l’appelant « Manguy Crush », au site pornographique YouPorn en le renommant « YouPomm » (ils ont d’ailleurs créé le
  • 33. site internet pour l’occasion), ils détournent la célèbre expression « Vers l’infini et l’au delà » du dessin animé Toy Story en « Vers l’infruinit et l’au delà » … La liste est longue. Sur les réseaux sociaux, la marque rebondit très rapidement sur l’actualité, et détourne les sujets en vogue : par exemple, le 24 mai 2014 la marque a posté le tweet « EXCLUSIF dans Boici : les photos du mariage de Kanye Quetsche et Kim Kananashian ! » pour rebondir sur le mariage de Kanye West et Kim Kardashian, qui fait sensation dans la presse people. Les jeux de mots sont bien trouvés et font foison, et surtout, ils font le buzz. C’est toutes ces allusions, ces détournements humoristiques qui font que le public considère Oasis comme une marque jeune, moderne et fun. La marque se voulant ancrée dans le digital, il est alors tout à fait logique qu’en restant dans la même logique de détournement, elle utilise aussi les mèmes internet. Afro Ninja Dramatic Chipmunk Leave Britney Alone Afro Agrume Dramatic Ananas Leave Her Alone Forte d’une importante identité numérique, la marque a donc réalisé en 2011 quatre courts spots utilisant des phénomènes internet. Ces publicités ont été réalisées par l’agence Marcel, et ont été publiées sur les réseaux sociaux. Parmi elles, trois utilisaient des mèmes internet : Afro Ninja17, Dramatic Chipmunk18 et Leave Britney Alone19. 33 17 Afro Ninja : https://www.youtube.com/watch?v=BEtIoGQxqQs Détournement Oasis – Afro Agrume : https://www.youtube.com/watch?v=ZDtzIxo8Vwg 18 Dramatic Chipmunk : https://www.youtube.com/watch?v=a1Y73sPHKxw
  • 34. La ressemblance entre les originaux et les adaptations est évidemment frappante : quiconque ayant connaissance du mème internet reconnaîtra le clin d’oeil. Et les réactions sont globalement très positives (1038 « pouces verts » sur la vidéo, contre 146 « pouces rouges »). D’autant plus que certains, moins initiés aux mèmes internet, ne comprennent pas l’allusion... La vidéo fait donc office de private-joke globale, ce qui renforce encore plus le lien privilégié entre la marque et sa cible. 34 ii. Exemple de Wonderful Pistachios La marque Wonderful Pistachios a lancé en 2011 deux spots publicitaires reprenant respectivement les mèmes internet Honey Badger20 et Keyboard Cat21. Le mème Honey Badger est à l’origine une vidéo provenant d’un documentaire animalier de National Geographic, dont la narration est faite par un homme nommé Randall, qui a par la suite lancé une série de vidéos similaires sur YouTube. La vidéo a eu beaucoup de succès au début de l’année 2011, pour ses commentaires insolents et la personnification du mammifère en question. La vidéo est notamment culte pour les premiers commentaires de Randall : « This is a honey badger. Watch it run in slow motion. It’s pretty badass ». La parodie de Wonderful Pistachios22 reprend la narration de la vidéo originale : elle mets en scène le même personnage (le blaireau) – mais cette fois sur fond blanc, les mêmes phrases – mais pas le même narrateur, avec les mêmes actions (notamment, il attaque un serpent) – à ceci près qu’à la fin de la vidéo il casse une pistache (le produit de la marque, donc). Keyboard Cat est un mème provenant d'une vidéo créée en 1984 dans laquelle le chat "Fatso" joue un morceau sur un piano électrique. En réalité, le morceau était joué par Charlie Schmidt, le propriétaire de Fatso, qui avait la main cachée dans le t-shirt du chat. La vidéo n'a été publiée sur internet que vingt ans plus tard, en 2004, sur le site personnel de Charlie Schmidt. Le 2 février 2009, cette vidéo Détournement Oasis – Dramatic Ananas : https://www.youtube.com/watch?v=xdxcCDuV1HI 19 Leave Britney Alone : https://www.youtube.com/watch?v=kHmvkRoEowc Détournement Oasis – Leave Her Alone : https://www.youtube.com/watch?v=GqAUwGEJgLM 20 Honey Badger : http://knowyourmeme.com/memes/honey-badger 21 Keyboard Cat : http://knowyourmeme.com/memes/keyboard-cat 22 Parodie Wonderful Pistachios : https://www.youtube.com/watch?v=nhdvmEYCQgA
  • 35. devint un phénomène internet (Play him off, Keyboard Cat) : elle est reprise et modifiée par de nombreux internautes. La vidéo de Wonderful Pistachios23 mets en scène un chat avec un tshirt vert (la couleur pistache), sur fond blanc, qui joue au piano le même air que dans la vidéo originale. A la fin de la vidéo, il casse une pistache. Une version parodiée du mème Honey Badger La version Wonderful Pistachios La version Wonderful Pistachios Le mème original Keyboard Cat Dans les deux cas, la réappropriation des mèmes internet est plutôt maladroite. La marque a, certes, rendu le mème plus professionnel : les images sont nettes, le fond a été changé, les couleurs sont en adéquation avec sa charte graphique. En revanche, l’histoire est la même : les personnages font les mêmes actions que dans les vidéos originales, au détail près que tous deux cassent une pistache à la fin. 35 23 Parodie Wonderful Pistachios : https://www.youtube.com/watch?v=-IcGvBE5xfg
  • 36. L’allusion aux mèmes peut ravir certains internautes, qui y verront là un clin d’oeil fait à leur culture et qui le prendront comme tel. Cependant, dans le cas de la parodie d’Honey Badger, la marque oublie le sens originel du mème : ce dernier représente la désinvolture la plus complète. Il a été détourné sous le format d’images macro avec une photo d’un blaireau à l’air agressif, avec une légende qui évolue toujours autour du « Honey Badger doesn’t care ». A l’inverse, une version « Sensitive Honey Badger » a même été créée par des internautes : avec une image d’un blaireau ayant l’air tout à fait inoffensif (voire pensif), et une légende de type « People say I don’t care… But I do ». Mais dans tous les cas, la marque n’a pas prêté attention au symbole que ce mème transportait, et l’a utilisé tel quel dans sa vidéo. Et parodier un mème internet sans tenir compte de sa signification n’est pas, à mon sens, la manière dont il faut opérer. 36 iii. Exemple du groupe Glacéau Le groupe Glacéau possède deux marques ayant tenté de surfer sur les mèmes internet : Vitamin Water et Smart Water. A l’inverse d’Oasis qui proposait une vidéo parodique par mème, Vitamin Water, en 2012, a décidé d’en réunir le plus possibles dans un seul spot vidéo24. La vidéo est pensée comme un hommage à la culture internet et culture mème. Ainsi, on peut y retrouver les mèmes Epic Sax Guy, le planking, Success Kid, des LOLcats, un flashmob… Le slogan étant, en substance : « Préparez-vous pour n’importe quoi avec Vitamin Water ». Smart Water a choisi de mélanger références de la pop culture, et références de la culture internet dans ce spot25 de 2011 : on peut y retrouver Jennifer Aniston, une célèbre actrice, et Keenan Cahill, une célébrité du net (il reprends régulièrement des chansons en playback – ou lipsynch). Dans cette vidéo, l’actrice est présentée à côté de trois « Internet Guys », et nous annonce qu’elle doit promouvoir le produit Smart Water. Elle explique alors qu’elle ne peut pas simplement dire que c’est l’eau la plus pure, la plus goûteuse… mais qu’elle doit faire une vidéo « virale ». Alors, les Internet Guys lui remettent une liste des 24 Publicité Vitamin Water : https://www.youtube.com/watch?v=Mw44I2P7wO8 25 Publicité Smart Water : https://www.youtube.com/watch?v=ZvzQsXUDdQY
  • 37. différents « critères » qu’une vidéo doit comporter pour devenir virale : c’est à dire des animaux, des bébés qui dansent, un double arc-en-ciel… Ces différents éléments sont donc mis en scènes l’un après l’autre, avec une Jennifer Aniston qui, comme toute personne n’étant pas connaisseur, les apprécie mais n’en saisit pas la portée (c’est à dire qu’elle ne reconnait pas les références). Pour finir, on peut voir l’actrice boire à la bouteille en slow-motion, avec une musique sexy et du vent dans ses cheveux. Le ton humoristique de cette vidéo est basé sur une critique des publicités cliché : que ce soit le classique ralenti glamour sur une belle femme pour promouvoir n’importe quel type de produit, ou la juxtaposition de plusieurs « ingrédients incontournables » pour faire le buzz. La marque joue la carte de l’ironie, espérant créer un lien avec le consommateur qui rira devant cette honnêteté. Dans ces deux cas, l’idée était plutôt réussi : la plupart des réactions face à ces publicités sont positives, le clin d’oeil est apprécié. La deuxième vidéo a également l’avantage de s’adresser à un public plus large qu’aux amateurs de mèmes internet, puisque les autres se reconnaîtront dans son égérie, plus traditionnelle. Cependant, il semblerait que l’utilisation de mèmes internet dans les publicités de ces deux marques soit un one-shot pour chacune d’entre elles. En effet, leur utilisation des réseaux sociaux aujourd’hui est on ne peut plus classique, et pas vraiment portée sur le ton de l’humour. Dans la même lignée, on peut citer l’exemple de Purina, du groupe Friskies, qui a lancé en 2013 une vidéo en ligne intitulée « Hard to Be a Cat at Christmas »26. Cette dernière mettait en scène cinq chats dans un décor de fêtes de fin d’année. En soi, une publicité qui utilise des chats, ça n’a rien de nouveau (Bouygues l’avait bien fait en 201127). Seulement ici, il se trouve qu’il s’agit des chats les plus connus d’internet : Grumpy Cat, Colonel Meow, Nala Cat, Oskar the Blind Cat, et Hamilton the Hipster Cat. Ces LOLcats sont utilisés comme n’importe quelle célébrité lambda dans une publicité classique. Ici ils sont les ambassadeurs de la 37 26 Purina – Hard to Be a Cat at Christmas https://www.youtube.com/watch?v=06GhXB2_XNE 27 Bouygues Telecom présente les Chatons Telecom : https://www.youtube.com/watch?v=59ZYrB8Ws7Y
  • 38. marque : pourtant, celle-ci ne semble pas s’inscrire tout particulièrement dans une stratégie digitale. Ce cas rejoint celui de Glacéau dans le sens où Purina utilise ici les mèmes internet dans le cadre d’une communication one-shot : il n’y a pas de volonté de continuer sur cette voie. Ces marques en ont fait l’essai, mais ne l’ont pas renouvelé : probablement pour ne pas risquer de cantonner son image de marque à une image « geek », peut être trop restreinte. 38 b. Un même mème détourné par plusieurs marques : le phénomène « Double Rainbow » Le mème internet « Double Rainbow » est parti d’une vidéo YouTube postée le 8 janvier 2010, où on pouvait voir un homme dans un pur moment d’extase devant un phénomène scientifique plus ou moins rare : un double arc-en-ciel. La vidéo est devenue ultra virale (elle compte aujourd’hui presque 40 millions de vues) et a donné naissance à de nombreuses parodies. Plusieurs annonceurs se sont empressés de rebondir sur le phénomène : Vodafone, Microsoft, ou encore Ben & Jerry’s. En septembre 2010, Microsoft a publié une vidéo pour promouvoir Windows Live Photo Gallery, dans laquelle est mis en scène le même homme que dans la vidéo originale (Paul « Bear » Vasquez). ce dernier s’extasie devant un double arc en ciel, puis il le prend en photo. On le voit ensuite retoucher ses photos dans Windows Live Photo Gallery. En janvier 2011, Vodafone New Zealand a également fait appel à Paul Vasquez pour son spot publicitaire. Il s’extasie tour à tour devant des objets en double : au début un arc en ciel, puis une double cascade, une double rivière, une double boite aux lettres… pour finir devant une affiche de Vodafone où il est écrit « Double Back » (une offre promotionnelle de l’époque). Dans ces deux cas, les marques ont utilisé le phénomène à 100%, allant jusqu’à faire jouer le protagoniste dans leur vidéo. Ils lui font faire exactement la même chose que dans la vidéo originale : les gestes, les expressions sont copiées. Par exemple, les phrases « Double rainbow, all the way across the sky » et « What
  • 39. does it mean ? » célèbres dans le mème original (qui apparaissent de nombreuses fois dans les commentaires de la vidéo, et qui sont utilisées pour les parodies) sont utilisées tel quelles dans les deux publicités. Ici, peu de créativité : les marques ont simplement chercher à « reformuler » un phénomène ayant déjà rencontré du succès, et ont utilisé Paul Vasquez de la même manière que n’importe quelle célébrité. Ben & Jerry’s a également utilisé le mème, mais d’une autre manière : pendant quelques jours en août 2010, le fond de leur site internet était composé d’un double arc en ciel, et de plusieurs vaches (les « égéries » de la marque) qui reprenaient les expressions du mème original. En plus d’avoir su être plus réactifs, l’utilisation du mème internet est plus subtile que dans les deux cas précédents, et apparaît plutôt comme un clin d’oeil vers la vidéo originale que comme une copie commerciale. Cependant, un détail est de taille : la marque n’avait pas demandé l’autorisation de Paul Vasquez. Certes, un double arc en ciel est un phénomène naturel et n’appartient à personne. Cependant, les phrases utilisées (« Double Rainbow all the way », par exemple) ont été dites par ce dernier dans la vidéo, et sont en quelque sorte le « slogan » du mème internet. Et bien que Paul Vasquez n’ait pas posé de copyrights sur ces expressions, il est évident que la marque utilise son image et celle de sa vidéo, sans son autorisation. Dans une interview conduite par Austin Carr de Fastcompany.com28, il explique : « So I got on my Facebook, and was telling my fans, That's not cool – they should've just asked me. And I didn't tell them to take it down. And then they took it down without asking me! And you know what? I really liked the website – I just wish they had talked to me! They didn't ask me to put it up, and they didn't ask me to take it down. It was like, Come on, have a little bit of consideration. » Et comme on pourrait si attendre, la plupart des internautes ont pris son parti. Un buzz mitigé donc, de la part de Ben & Jerry’s. 28 « Double Rainbow Guy goes all the way with Microsoft for Windows Live Commercial », Austin Carr, Fastcompany.com http://www.fastcompany.com/1686590/double-rainbow-guy-goes-all-way-microsoft- 39 windows-live-commercial
  • 40. Campagne HipChat Campagne Virgin Media 40 c. Quand les mèmes internet sortent de la toile Certaines marques ont pris le risque d’utiliser les mèmes internet jusque dans des campagnes IRL (littéralement : In Real Life, c’est à dire dans la vraie vie). C’est notamment le cas de Virgin Media, qui a utilisé le Success Kid dans une campagne d’affichage en février 2012. Le slogan disait, en substance : « Tim vient de réaliser que ces parents recevaient les chaînes TV en HD sans payer plus ». Le message concrétise tout à fait le symbole du mème en question : le succès. Hip Chat, une plateforme de messagerie instantanée, a choisi d’utiliser le mème « Y U NO Guy », un des ragecomics les plus connus. Il était représenté dans une campagne d’affichage de 4 semaines, avec le slogan « Y U NO USE HIPCHAT ? ». Encore une fois, l’utilisation du mème est en adéquation avec la signification du mème original. Cette campagne fut un franc succès, puisque la marque a vu son trafic augmenter subitement, et a gagné de nombreux nouveaux clients. Ces deux campagnes partagent une même caractéristiques : elles gardent l’esprit amateur des mèmes internet. Les images n’ont pas été embellies, ni mises en scène ; ainsi, elles ressemblent à n’importe quelle autre version de ces mèmes que l’on pourrait trouver sur internet. Cela donne un côté humain à la publicité : l’idée que derrière ces grosses entreprises, il existe des individus qui, dans le département marketing, passent aussi leurs journées à faire défiler les mèmes internet sur 9gag… Et cela donne un ton humoristique qui créée un véritable lien vers la cible.
  • 41. 41 3. Analyse de la stratégie L’objectif final d’une entreprise qui lance une nouvelle campagne de communication, c’est de vendre. Cependant, il existe très peu de cas dans lesquels on peut expliquer une augmentation des ventes seulement par une publicité, puisque la publicité y contribue de manière indirecte. Les objectifs d’une publicité sont de trois ordres : cognitif, affectif et conatif29. L’utilisation de mèmes internet dans la publicité se fait dans un objectif affectif, puisque les marques cherchent ainsi à créer un lien privilégié avec leur cible, et à se donner une image jeune, moderne, fun, etc. Ces publicités jouent sur un registre émotionnel, et permettent de créer un imaginaire autour de la marque, un univers. Leurs effets sont difficiles à mesurer, puisqu’elles n’ont pas nécessairement un effet direct sur les ventes. Le meilleur moyen juger de l’efficacité de ce type de publicités est donc de conduire une étude sur l’image perçue par la cible. Dans la majorité des cas, l’utilisation de mèmes internet se fait dans le cadre d’une stratégie one-shot30 (comme Glacéau, Virgin, HipChat, ou encore Purina), dont l’objectif est de créer le buzz autour de la marque. Cependant, dans d’autres cas, cette décision est prise dans le cadre d’une réelle stratégie. Ainsi, la réappropriation de mèmes internet dans la publicité peut être justifiée au sein de trois « types » de stratégies à la fois différentes et complémentaires : le marketing viral, la communication digitale, et le native advertising. La partie suivante expliquera les objectifs et les caractéristiques des stratégies citées, et en quoi l’utilisation de mèmes internet en tant que contenu permet de les consolider. a. Communication digitale, par le marketing viral i. Communication digitale La communication digitale, c’est d’abord la numérisation des supports d’information. Mais au-delà de cela, c’est une stratégie dans laquelle la communication d’une entreprise agit sur trois dimensions : le web, les médias sociaux, et le mobile. Il s’agissait au départ de mettre en ligne des sites Web 29 Cognitif : faire connaître la marque et/ou le produit. Affectif : faire aimer la marque. Conatif : faire agir la cible. 30 One shot : une campagne publicitaire destinée à n’être utilisée qu’une seule fois
  • 42. corporate, puis de rentre l’information plus vivante et interactive avec les médias sociaux, et enfin de la rendre plus familière et accessible, grâce au mobile. Aujourd’hui, il est quasiment incontournable pour une marque destinée au grand public d’élaborer une stratégie propre en matière de communication digitale. Être présent sur les réseaux sociaux, c’est une chose : encore faut il y être actif, réactif, et proposer du contenu pertinent pour se différencier des autres acteurs présents. En effet aujourd’hui toutes les marques sont plus ou moins présentes sur le marché digital : elles ont toutes leur site internet, leurs pages sur différents réseaux sociaux, etc. Dans ce cas, comment attirer l’attention des internautes, noyés par la masse d’information ? Une solution pourrait être le marketing viral : proposer un contenu à forte viralité (une vidéo, une image, un jeu) dans l’objectif que les internautes le partagent d’eux mêmes. 42 ii. Marketing viral Le marketing viral est une technique dont l’objectif et de promouvoir une entreprise, ou ses produits, à travers un message qui se diffuse largement d’une personne à une autre. Ce sont les destinataires de l’offre qui permettent la diffusion de ce message : aujourd’hui, cela se fait via le bouche à oreille, les réseaux sociaux, les forums, etc. La particularité de ce type de marketing est qu’ainsi, les consommateurs deviennent les principaux vecteurs de la communication de la marque. Il concentre sous ses différentes formes les trois objectifs de la publicité : le cognitif, l’affectif et le conatif. Les avantages de ce type de marketing sont les suivants : une diffusion à grande échelle qui fait gagner en visibilité, une amélioration de la notoriété et de l’image de marque (a priori… car une marque n’est jamais à l’abri d’un mauvais buzz), et l’accès à une cible peu réceptive aux médias traditionnels (c’est à dire télévision, journaux). Certains risques sont que, premièrement, il n’existe pas de « recette magique » pour créer un contenu viral : malgré tous les efforts possibles, on ne peut contrôler les consommateurs et leur volonté à partager ou non un contenu. Ensuite, une marque n’est jamais à l’abri du détournement de son message.
  • 43. Il est important de souligner le fait qu’une vidéo virale n’est pas un mème. Elle fait partie d’un mème, c’est à dire d’un groupe de différents contenus. En effet, un contenu n’a de valeur mimétique que grâce à ses dérivés. Cependant, les mèmes internet partagent les caractéristiques du contenu viral, et du marketing viral, à plusieurs niveaux : ils se diffusent largement, sans effort de la part du créateur, et peuvent être détournés. Et puisque le principe fondamental du mème internet est son caractère viral et sa capacité à être largement diffusé et détourné, alors l’adopter en tant que contenu semble un choix tout à fait logique lorsque la marque opère une stratégie dont les effets recherchés sont justement la viralité et la participation de sa cible. 43 b. Brand content, native advertising et newsjacking Le brand content désigne « les contenus produits par une marque à des fins de communication publicitaire et d’image »31. Cela désigne en général des contenus éditoriaux (conseils, articles de blog, interviews, reportages...) proposés en ligne, mais peut également prendre la forme d’autres types de contenus, comme des jeux, vidéos, images, etc. Les objectifs peuvent être d’affirmer une image de marque, un positionnement, de justifier son expertise ou encore de générer du trafic. Le native advertising est une forme de brand content32. Il s’agit d’une sorte de publicité où les marques proposent des contenus informatifs ou divertissants créés par elles. L’objectif n’est pas de parler de la marque ou du produit : simplement d’intéresser la communauté ciblée par la marque. C’est donc du brand content, mais qui ne parle pas forcément de la marque. Cela permet aux marques de créer un imaginaire commun avec leurs consommateurs, dans différents objectifs : créer des défenseurs de la marque parmi eux, générer une audience fidèle, gagner en influence, et mieux comprendre sa cible (en fonction de ce qu’elle a 31 Définition « Brand Content », Définitions Marketing : http://www.definitions-marketing. com/Definition-Brand-content 32 RAPHAEL Benoît, « Pourquoi le brand content et native advertising sont des chances pour les médias, les marques... et les consommateurs », benoitraphael.com, 2013 http://benoitraphael.com/2013/12/pourquoi-le-brand-content-et-native-advertising-sont-des-chances- pour-les-médias-les-marques.-et-les-consommateurs.html
  • 44. tendance a partager ou non, par exemple). Ainsi, la publicité est faite dans une optique d’empathie et d’interaction avec l’audience, plutôt que suivant un traditionnel schéma descendant. Les exemples de native advertising sont nombreux : on peut notamment citer les vidéos de Redbull sur le sport extrême, ou les vidéos d’Oasis citées plus tôt. Dans le native advertising, on peut constater une tendance : le newsjacking. Il s’agit du fait de capitaliser sur la popularité d’une actualité pour promouvoir sa marque. Cela se fait notamment par le détournement et la parodie : c’est d’ailleurs quelque chose qu’Oasis fait très bien : par exemple, elle a tiré profit de Roland Garos (évènement n’ayant – a priori – rien à voir avec ses produits) pour poster le tweet suivant « Roland Poiros, the place to fruit pour tous les amoureux de la raquetsche ! #BeFruit #RG2014 ». Surfer sur une actualité et se l’approprier pour y apporter la touche de la marque, c’est une pratique qui fait sourire les internautes, et qui fonctionne – il suffit de voir le nombre de partages, de retweet et de favoris sur chacun des posts de ce type. En revanche, il faut savoir réagir le plus vite possible. Un mème internet est comme une actualité : il se propage rapidement et au sein d’une large population, et il est éphémère. Ainsi, la réappropriation d’un mème internet dans un message publicitaire (au sens large : il peut s’agir d’une vidéo, d’une image, d’un tweet... cela dépend également de la nature du mème original) s’inscrit dans la même logique de newsjacking, de native advertising, et donc de brand content. Pour conclure, l’utilisation de mèmes internet dans la publicité peut se faire dans le cadre de différentes stratégies : un one-shot pour faire le buzz, ou une stratégie digitale qui justifie cette pratique. Dans ce dernier cas, les objectifs recherchés sont ceux du marketing viral et du brand content : la création ou l’affirmation de l’imaginaire autour de sa marque, et la volonté de voir son contenu être partagé à grande échelle pour gagner en visibilité, en attachement émotionnel et en action de la part de sa cible. Cependant, on peut remarquer qu’en se risquant sur le terrain des mèmes internet, les marques peuvent se heurter à deux types de problèmes, du moins être confrontées à deux types d’interrogations : le contexte légal de cette 44
  • 45. réappropriation (est-ce qu’une marque peut, au même titre qu’un internaute, détourner un mème internet à des fins lucratives ?), et en terme d’image de marque (est-ce que la cible va apprécier cette allusion faite à la culture internet?). La partie suivante expliquera donc dans quelle mesure la publicité a une légitimité à réutiliser un mème internet selon ces deux critères. 45
  • 46. III) Légitimité 46 1. Légale Juridiquement, le mème internet est un cas particulier. Alors qu’il est souvent créé anonymement et collectivement, à qui appartient-il ? Peut-il être utilisé à des fins lucratives ? L’article L. 123-3 du Code de la propriété intellectuelle (voir Annexe n°2) stipule que « Pour les oeuvres pseudonymes, anonymes ou collectives, la durée du droit exclusif est de soixante-dix années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle où l’oeuvre a été publiée ». Ainsi, un mème étant une oeuvre créative comme une autre, il serait illégal de la réutiliser et la diffuser avant la durée indiquée, du moins sans accord du/des créateur(s). Cependant, le principe même du mème internet étant sa reproduction et son adaptation, cette loi s’avère être obsolète. a. Flou juridique : copyright et droit d’auteur Selon certains, la notion même de « propriété » ne peut être appliquée à des objets aussi collectifs que des mèmes. D’autres soulignent le fait que derrière chaque même il y a, comme derrière chaque oeuvre créative, quelqu’un qui a créé le mème original, ou son contenu sous-jacent. Tant qu’ils sont admissibles à la protection du droit d’auteur (ou copyright), cette personne possède tous les droits sur le mème. Ainsi, chaque reproduction de ce mème serait potentiellement une infraction de ces droits (si faite sans la permission du propriétaire), et pourrait donner lieu à une plainte. Les mèmes peuvent-ils être soumis au droit d’auteur, ou au copyright ? Dans les pays de droits civils comme de Common law, la condition fondamentale pour qu’une oeuvre intellectuelle puisse être protégée est l’originalité. Cependant, cette notion même d’originalité diffère selon le pays : on considère dans les pays de droits civils (comme en France) que l’originalité d’une oeuvre est établie dès lors qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. Dans les pays de Common law en revanche (comme en Grande Bretagne) on considère qu’une oeuvre est originale si elle n’a pas été copiée, et que l’auteur a investi du travail,
  • 47. de la compétence ou un certain effort dans la réalisation de celle-ci. (Laura Dorstter, 2009)33. La plupart des éléments considérés comme des mèmes (des slogans ou des citations par exemple) ne sont dans tous les cas pas soumis à la protection du droit d’auteur. Cependant, il est plus difficile de juger des mèmes comme le Nyan cat ou le Keyboard cat, qui sont plus ou moins des oeuvres originales. Alors que certains considèrent qu’un mème internet est en lui-même une oeuvre créative originale, d’autres considèrent que l’idée d’originalité n’a guère de sens pour ces phénomènes, car leur statut de mème n’émerge qu’au fil des réutilisations collectives. Les créateurs revendiqués des deux mèmes cités précédemment ont pu poser des copyrights sur leurs oeuvres, bien qu’ils ne fussent pas réellement les seuls auteurs de celles-ci : le propriétaire des droits du Nyan cat par exemple, Christopher Orlando Torres, n’a créé en réalité que de la partie visuelle du mème. La musique entêtante « Nyanyanyanyanyan » (qui est – selon moi – au moins aussi responsable du succès du mème que la partie visuelle) a été créée par le compositeur Daniwell trois années plus tôt. Et ces deux éléments (l’image et le son) ont été rassemblés dans une vidéo par une troisième internaute, Sara Reihani. C’est à partir de là que le phénomène a connu son essor. Mais le fait même que Christopher Orlando Torres pose un copyright sur le Nyan cat semble problématique. Nombreux sont ceux qui pensent que les mèmes internet appartiennent au public, et qu’il serait insultant de réclamer une propriété sur la qualité mimétique de ces oeuvres. La valeur culturelle du Nyan cat ne vient pas seulement de Torres : elle vient des masses de personnes qui se sont approprié cette idée pour créer à partir d’elle. Aussi, ce serait un affront envers cette communauté de personnes que de se proclamer propriétaire du mème. 33 DORSTTER Laura, «Le concept d’originalité dans la législation française du droit d’auteur et dans celle du copyright anglais », m2bde.u-paris10.fr, 2009 47 Le mème Nyan cat
  • 48. De plus, il n’est pas toujours facile de traquer ou de prouver la propriété d’un mème, le créateur de sa première instance. D’autant plus pour ceux qui viennent de sites comme 4chan, où l’anonymat et le non-archivage ne simplifient pas la tâche. Toutes ces subtilités rendent le statut juridique de la propriété d’un mème internet, (et de sa légitimité) encore plus vague. Et si certains mèmes sont soumis (ou pourraient être soumis) au droit d’auteur, ils n’en restent pas moins réutilisés, remixés et partagés par des milliers d’individus. 48 b. Fair use et réappropriation commerciale i. Notion de fair use A partir du moment où un mème internet est soumis à un copyright, la légalité ou non de la réappropriation de celui-ci dépend de la notion de fair use. Le fair use (que l’on pourrait traduire par l’usage loyal, raisonnable ou acceptable) est un ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle, qui apportent des limites et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son oeuvre. Il essaie de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits d’auteur et l’intérêt public, pour la distribution de travaux créatifs, en autorisant certains usages qui seraient autrement considérés comme illégaux. Le Copyright Act (une loi sur le droit d’auteur) énumère quatre facteurs pour déterminer si l’utilisation d’une oeuvre protégée relève du fair use ou non : le but et le caractère de l’utilisation, la nature de l’oeuvre protégée, l’importance de la partie utilisée par rapport à l’oeuvre dans son ensemble, et l’effet de l’utilisation sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre. Ainsi, la réappropriation collective d’un mème internet entre dans la catégorie du fair use, puisque les individus participent à sa diffusion, à sa richesse mimétique, et y contribuent artistiquement. Cependant, la réappropriation commerciale d’un mème internet n’en relève probablement pas, puisqu’il est utilisé à des fins lucratives. Si les mèmes internet sont un terrain de jeux pour les internautes, les marques doivent prendre leurs précautions avec eux.
  • 49. La légalité de la réappropriation d’un mème dépend également du bien vouloir de son créateur. Nombreux sont ceux qui autorisent leur oeuvre à être distribuée et modifiée librement, dans la mesure où ils ne veulent pas empêcher des individus d’en avoir une utilisation créative. Cependant, ils n’autorisent pas la réappropriation lucrative de leur travail pour autant. Il existe d’ailleurs des licences comme Creative Commons qui permettent au propriétaire d’une oeuvre d’en interdire l’usage commercial. 49 ii. Réappropriation commerciale En 2012, les créateurs revendiqués des mèmes Nyan cat et Keyboard cat, respectivement Christopher Orlando Torres et Charles Schmidt, ont porté plainte contre Scribblenauts, un jeu vidéo créé par Warner Bros (WB) et 5th Cell Media (voir Annexe n°3). Ces entreprises étaient accusées d’avoir inclus ces mèmes internet dans leur jeu sans aucune licence ou autorisation. En voyant le succès phénoménal qu’ont pris le Nyan Cat et le Keyboard Cat, le géant WB y a vu une opportunité, et s’est servi des personnages à la fois dans le gameplay du jeu vidéo, mais les ont également mis en avant dans des vidéos pour promouvoir le jeu en question. Les créateurs justifiaient leur plainte en disant que la réappropriation des mèmes par WB aurait pour conséquence de cause la confusion chez le public, voire de le décevoir. Au final, la dispute a été résolue à l’amiable : les personnages resteront dans le jeu vidéo, mais les créateurs recevront dorénavant une compensation financière pour celle-ci. Le plus intéressant dans cette affaire n’était pas le procès en lui-même, mais la réaction du public à son sujet. Les réactions sont diverses. Le premier cas de figure est de considérer que ces mèmes internet n’appartiennent à personne (malgré le copyright), ni même à Torres ou Schmidt. Ainsi, la réappropriation des personnages par Scribblenauts est tout à fait légitime. D’autres considèrent que ces mèmes sont la propriété de la communauté d’internautes qui leur ont donné cette importance, et qu’il n’est pas normal qu’une marque les réutilise à des fins commerciales. Enfin, le dernier cas de figure est de considérer que, ces mèmes