#REVES #SECRETS #EXISTENCE #SAVOIR
"Les #rêves sont des moments de grande lucidité, où l'on se parle cash, où se révèle ce que l'on se cache", selon bernard lahire, sociologue.
易 Il existe une certaine forme de "vérité du rêve", car "notre #conscience, libérée de toute censure, va plus directement au cœur des problèmes, en exagérant les situations."
️ Des #vérités perçues qui se libèrent mais qui nécessitent un "travail de déchiffrage, d’interprétation" pour ne pas rester "enfermées dans un coffre" car "il nous faut quelques clés pour déceler ces #révélations".
Faut-il chercher à comprendre ce que signifient ces rêves ?
⏩ Bernard Lahire estime que "la #connaissance est d'abord une douche froide" mais qu'il faut "faire reculer le sentiment de #culpabilité, réaliser que cette #souffrance que vous croyez intime, ne tenant qu'à vous, qu'à votre #caractère, est le fruit de votre #expérience, de votre rapport aux autres". "Etre lucide sur ce qui nous travaille, cela donne du #pouvoir pour reprendre le contrôle de notre #existence".
Extraits de bernard lahire - La part rêvée (07/01/2021)
https://lnkd.in/dzYFZFP
#sociologie #psychologie #neurosciences #savoir #sciencessociales #positif #sociothérapie #identité
1. L’OBS/N°2932-07/01/2021 59
SOMMAIRE
DanslesecretdesrêvesAprès avoir revisité Freud, le sociologue Bernard Lahire passe brillamment
aux travaux pratiques, décryptant image par image les songes d’une dizaine
de volontaires. Une fascinante percée dans l’inconscient
Propos recueillis par VÉRONIQUE RADIER
C
e sont des récits de bric et de broc, un
méli-mélodepéripétiesincongruesou
banales, d’images féeriques ou déran-
geantes.Desrêvesàl’étatbrut,telsqu’ils
sontnotésauréveilparunedizainede
volontaires,femmesethommes,d’âgesetdemilieux
variés.Ilssemblenttoutàlafoisterriblementsigni-
fiants et ne rimant à rien. Au fil d’entretiens avec
leurs auteurs, ces patchworks insaisissables
déploient peu à peu une cohérence, s’éclairent et
fontsens.Etlemoindredeleursdétails–lacouleur
d’une automobile, l’apparition d’un personnage
célèbreoud’unevagueconnaissance,unescènesan-
glanteoulamusiqued’unfilm –s’accordeetrésonne
aveclavieprésenteetpasséedesrêveurs,leurspré-
occupations.Telestletourdeforcequ’accomplit
2. L’OBS/N°2932-07/01/202160
IDÉES
le sociologue Bernard Lahire dans « la Part rêvée »
(éd. La Découverte),avec,parfois,unetrompeuseimpressionde
facilitétantl’évidences’impose,unefoisleursensainsidécrypté.
Ce pavé de 1 200 pages se dévore comme un polar, car le
suspense y rebondit sans cesse. C’est le deuxième volume de
« l’Interprétation sociologique des rêves ». Dans le premier,
publié en 2018, Bernard Lahire expliquait les fondements
théoriques de sa théorie. Ce chercheur prolifique et ambitieux
s’estfrottéavecsuccès,aufildesacarrière,àplusieurssujetsse
situant au croisement du déterminisme social et des replis de
l’intime.Ceparcoursl’aconduitverscesujetsiparticulier,resté
peu ou prou en jachère depuis Freud. Partant des découvertes
de celui-ci, des avancées des neurosciences et des enseigne-
ments livrés par les banques de rêves constituées depuis les
années1950pardespsychologues,BernardLahireapostuléque
nossongesrejouent,ennocturne,lesschémasetdéterminismes
inconscientsqui« travaillent »etstructurentnotrepersonnalité.
Ils mettent en scène nos tensions existentielles, réactivées par
tel ou tel événement de la journée, mais transposées via des
condensations, des métaphores qui nous demeurent opaques.
Depuis Freud, aucun chercheur ne s’était risqué à formu-
lerunethéoriesurlefonctionnementetlasignificationdes
rêves.Commentlavôtrea-t-elleétéreçue ?
En m’attaquant à un tel sujet, je m’attendais à des réactions bien
plusvives.Monlivreaglobalementreçuunbonaccueil,ycompris
delapartdepsychiatres,thérapeutes,etmêmedepsychanalystes
quim’ontécrit,medisantpartagercertainesdemescritiquessur
Freud. Quelques collègues ont exprimé des interrogations
légitimes, notamment quant à l’apport de ce travail pour mieux
comprendre la société. Mais constituer le rêve en tant qu’objet
sociologique,enmontrerlamécaniqueétaitdéjàunesacréetâche.
Aveccedeuxièmelivre,enparallèledemesrecherchesthéoriques,
j’aisouhaitéconstitueruncorpusinéditderécitsderêvesetmon-
Laura, 24 ans, étudiante en lettres, provinciale,
est issue d’un milieu populaire. Deux ans plus tôt,
elle a vécu une longue relation qu’elle qualifie
de « très humiliante » avec un auditeur libre de
l’ENS, d’un milieu social plus élevé, se montrant
« assez dur » et « très froid ».
Je vois deux personnes qui se marient. Je ne
les connais pas. Les deux ont des cheveux blonds,
ils sont très beaux. On se croirait dans un film.
Je les vois de très près, comme s’ils étaient
devant moi. Ils sont sur un carrosse ouvert qui
roule. Ensuite, on a dû faire un faux enterrement
de la mariée pour manigancer quelque chose. On
l’habille tout en noir avec une longue robe noire
et des voiles noirs. Toute la ville est venue, on se
trouve dans un endroit où il n’y a que de la terre
et pas de verdure. On l’étend et on la recouvre
de terre. On sait qu’elle est vivante. On essaye
de faire partir les gens autour d’elle en créant des
conflits. Les gens se battent entre eux et se tuent,
mais cela ne suffit pas à faire partir tout le
monde. La femme enterrée se réveille alors et
sort de terre. Les gens sont surpris et ne disent
rien. Elle demande alors un arc et des flèches,
peints […] en bleu très vif. Elle décide d’aller tuer
une licorne qui se trouve sur la colline tout près
en hauteur que nous apercevons. Elle n’y était
pas parvenue lorsqu’elle était jeune, elle veut
donc le faire maintenant.
INTERPRÉTATION DU RÊVE
Cela commence par une image très
hollywoodienne du couple idéal : ils sont beaux,
ils sont blonds, ils se marient ! Tout vient
rappeler ici le conte de fées, jusqu’au carrosse ;
cela sonne fabriqué, « une sorte d’illusion »
dit Laura, et la scène commence à déraper
avec le faux enterrement de la mariée – qui est
l’analogon de Laura. Celui-ci peut renvoyer au
classique « enterrement de vie de jeune fille »
avant le mariage, mais par ces images le rêve
dit aussi que Laura s’est laissée « enterrer »
dans une relation malsaine avec Adrien, et il
signe la mort symbolique d’une relation, d’un
couple. Le fait qu’on « essaye de faire partir
les gens autour d’elle en créant des conflits »
renvoie à la réalité car, en se séparant d’Adrien,
elle a aussi rompu avec le réseau d’amis
communs. La mariée ressuscite parce que
la rupture a été pour elle comme une
renaissance. En sortant de terre, elle se montre
très combative en prenant un arc et des flèches
et en décidant d’aller tuer une licorne, animal
imaginaire très présent dans la littérature
médiévale, qu’elle a rencontrée dans ses
études, une chimère caractérisée par un
symbole phallique, dotée de vertus magiques
et liée à l’amour. Tuer une licorne, c’est donc
tuer la relation avec les hommes, l’amour, le
merveilleux, la « magie », l’illusion, et prouver
ainsi que le charme n’opère plus. Le rêve
précise qu’elle n’avait jamais réussi à le faire
jusque-là, ce qui s’explique très bien si l’on sait
que toutes ses histoires d’amour se sont mal
passées. C’est une façon de prendre sa revanche
sur l’ensemble de ses mauvaises expériences
et de dire qu’elle ne croit plus aux contes
de fées ni en l’amour.
(Extrait de « la Part rêvée », Bernard Lahire, éditions
La Découverte.)
UNRÊVEAUBANCD’ESSAI(1)
TUERUNELICORNE,rêvedu10juillet2017
3. L’OBS/N°2932-07/01/2021 61
“ÊTRELUCIDESURCEQUINOUSTRAVAILLE,
CELANOUSPERMETDEREPRENDRE
LECONTRÔLEDENOTREEXISTENCE.”
IDÉES
trer comment on peut repérer et interpréter leurs logiques. Cela
représente des heures et des heures d’entretiens répétés durant
plus d’une année avec leurs auteurs, sur des séries de rêves, car
interpréter un récit isolé, comme le faisait Freud, est bien plus
aléatoire.Mêmesicertainssontd’unebeautéincroyable,poétiques,
je ne m’inscris pas dans le cadre d’une recherche esthétique. Le
songe est un art poétique involontaire, désinhibé, nourri de nos
viesetdesfictionsquinoushabitent.
Comprendre les mécanismes du rêve, c’est aussi mieux
cernerlafaçondontnouspensonséveillés ?
L’analogie, le rapprochement ou la comparaison entre deux
choses,deuxévénementsoudeuxsituationssontaucœurdela
pensée humaine dans tous les domaines. Lorsque quelqu’un
vous dit : « Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas “senti” cette per-
sonne », c’est que son inconscient perçoit des petits signes
d’alerte.Sivotrevoix,unélémentdevotrevisageoul’undevos
actesmerenvoientàuneexpériencenégativedemonpassé,sans
m’enrendrecompte,jevaisprojetersurvouscessensationsqui
ne vous appartiennent pas. Nous vivons ainsi baignés dans ces
superpositions imperceptibles. Le rêve les traduit en images,
une personne pouvant se superposer à une autre, ou en repré-
senteruneautre.Lorsqu’onfaitparlerunrêveur,cesproximités,
ces déplacements se font jour, et il apparaît que ces personnes,
cesobjets,cesanimaux,ceslieuxoucescouleursnesontjamais
présents par hasard.
Contrairementàcequel’onalongtempscru,notrecerveau
ne fonctionne pas d’une façon totalement différente
pendantlerêve…
L’orgueilhumainnousfaitoublierqu’aufondnousrestonsfaits
de la même pâte qu’une amibe ou un ver de terre. Ignorant des
processus physiologiques qui nous font exister, nous suresti-
mons,debeaucoup,lapartconscientedenosactes,nospensées
éveillées. La nuit, notre cerveau continue à fonctionner mais
hors de notre contrôle. Freud postulait le refoulement de nos
désirs, de nos pulsions, qui, pour s’exprimer dans nos rêves
devaientcontournerlacensure,àtraversdesmessagescodéset
chiffrés, alors qu’au contraire c’est là où nous nous exprimons
sansdétour.Nospréoccupationsexistentielless’imposent,notre
attention n’en étant plus détournée par le monde extérieur et
ses sollicitations. Il s’y dit des choses fondamentales. Les rêves
sont des moments de grande lucidité, où l’on se parle « cash »,
oùserévèlecequel’onsecache.Seulement,commeonseparle
àsoi-même,sansnécessitéd’explicitationdesrapprochements
ou des métaphores qui se jouent dans ce théâtre intérieur, ils
nous deviennent opaques au réveil.
Souvent,lerêves’articuleautourd’unemétaphorecentrale
quicondenselessentiments,lasituationdurêveur,enles
dramatisant.
C’estcela,l’économieextraordinairedurêve.Mêmes’ilestvisuel,
composé d’un enchaînement d’images, il recourt aux méca-
nismesdulangagecommeFreudetd’autresaprèsluil’ontmon-
tré.Dansledocumentaire« Rêversouslecapitalisme »,deSophie
Bruneau,unefemmemédecinraconteunrêvequil’illustrebien.
Ellesevoitassise,lacalottecrânienneouverte,entouréedegens
eux-mêmes assis sur de petites chaises qui y piochent avec de
longues cuillères pour manger son cerveau. Plus tard, elle a
réalisé que les chaises qu’elle voyait étaient celles de sa salle
d’attenteet,décrivantsasituationprofessionnelle,combienelle
étaitdébordée,dansl’incapacitéderecevoirsespatientsconve-
nablement, que tout cela pouvait se résumer à l’expression « je
mefaisaisbouffer».Ladifficulté,c’estdediscernercequiestcen-
tral ;au-delàdetouteslesincohérences,desesincongruitésqu’on
aimerait comprendre : de quoi est-il question ? S’agit-il d’une
scène d’empêchement ou bien de colère ? Je demandais aussi à
mesvolontairesleursentimentgénéralpendantlerêveetdurant
sesdifférentsmoments.Etait-ceounonagréable,inquiétant ?Si
l’onn’entientpascompte,onseméprend.Parexemple,unrêveur
décrit des scènes horribles, des tueries, sans peur ni dégoût. En
le faisant parler, il explique que, dans son esprit, c’était comme
un jeu vidéo, une fiction sans enjeu. A l’inverse, des scènes
4. L’OBS/N°2932-07/01/202162
IDÉES
d’apparence banale peuvent provoquer des sentiments très
négatifs,vousréveillerlecœurbattant,etcelaenditlongsurl’im-
portancedesenjeuxexprimés.
Diriez-vousqu’ilexisteunevéritédurêve ?
Oui,c’estlelieud’unecertaineformedelucidité,d’unevéritésur
soi. Notre conscience, libérée de toute censure, va plus directe-
mentaucœurdesproblèmes,enexagérantlessituations.Unfils
privéd’unechoseparsonpèrevaparexemplerêverqu’illetue.
Cette dramatisation met en lumière le cœur de nos sentiments,
des problématiques qui nous travaillent, car notre inconscient
est capable de les discerner plus directement. Dans la vie éveil-
lée, on peut se raconter des histoires, se bercer d’illusions, mais
pendantlesommeiltoutescesvéritésperçuesselibèrent.Seule-
ment,sansletravaildedéchiffrage,d’interprétation,ellesrestent
comme enfermées dans un coffret. Il nous
faut quelques clés pour déceler ces révéla-
tions qui sont là, à portée de main. C’est un
trésorquechacundevraitpouvoirconnaître,
pour comprendre ce qui l’obsède, l’embar-
rasse dans plein de situations, mais c’est
ambigu,carcesvéritésmisesànunesontpas
immédiatement compréhensibles, malgré
leurchargeémotiveouleurintensité.
Il semble très gratifiant de déchiffrer
commevouslefaites,aveclerêveur,des
images mystérieuses, énigmatiques…
Cettejubilationest-ellepartagée ?
C’esttrèsvariable.JepenseàLydie,unejeune
femme de 38 ans, célibataire sans enfant,
vivantunrapportassezdifficileauxhommes.
Ellefaisaitdesrêvesrécurrents,souventavec
desserpents,dessituationsdangereuses.Au
coursdenosentretiens,jel’aiquestionnéesur
les lieux, les circonstances où elle voyait ces
serpents,etcelalaramenaittoujoursdefaçon
frappante à son milieu familial. Je lui ai
demandésicelan’étaitpasrattachéàunsou-
venir gênant, désagréable, elle a mentionné
unincident,sansimportancedisait-elle,l’at-
touchementimposédanssonenfanceparun
cousin un peu plus âgé qu’elle. Lorsqu’il est
devenu clair que ses rêves mettaient
constamment en scène ce souvenir, souvent
associé à son père très infidèle, Lydie était
presquefurieuse,prêteàarrêterladémarche.
Ellesevivaitcommeunecélibataireassumée,
conduisantsaviecommeellelesouhaitaitet
il n’était pas facile de réaliser ainsi que ce
choix n’était pas aussi positif et délibéré
qu’elle l’avait cru. Par la suite, cette prise de
conscienceluiapermisdeparlerpourquesa
famillecessedeluiimposerlaprésencedece
cousintoxiquequicontinuaitàlui« peser »,
trenteansplustard.
Comprendre ce que signifient les rêves
peutdoncnousfaireavancer ?
C’est l’aspect « défatalisant » des sciences
sociales :fairereculerlesentimentdeculpa-
bilité, réaliser que cette souffrance que vous
croyezintime,netenantqu’àvous,qu’àvotrecaractère,estlefruit
devotreexpérience,devotrerapportauxautres.Quandj’aitra-
vaillésurl’échecscolaire,beaucoupdejeunesdisaient :« Detoute
façon, j’ai toujours été nul ! » Ils se sentaient bêtes. Comprendre
quecetéchecestcorréléàunjugementvenantdel’extérieurles
alibérés.Jecroisenlapuissanceémancipatricedusavoir.D’une
façongénérale,laconnaissancenousfaitgagnerdutemps,etc’est
encoreplusvrailorsqu’ils’agitdenous-même.Etrelucidesurce
qui nous travaille, cela donne du pouvoir pour reprendre le
contrôle de notre existence. Dans les rêves de mes volontaires
ontsurgidesthèmesrécurrents :ladominationmasculine–cha-
cunedesquatrefemmesquitémoignentensouffredansplusieurs
dimensionsdesavie–,laviolenceparentale,lacompétitionsco-
laire, l’héritage difficile de parent à enfant, les affres vécues par
5. L’OBS/N°2932-07/01/2021 63
IDÉES
lestransfugesdeclasse,toutessortesd’enjeuxmajeursquisous-
tendentnossociétés.
Certains semblent accablés de découvrir le poids et
l’emprisedeleurshantisescommeunefatalité.
Cetterépétitionn’apparaîtquesil’oninterrogerégulièrementses
rêves,avecméthode.Certains,commeLydie,ontalorseul’impres-
sionqueleurviefaisaitdusurplace.Laconnaissance,c’estd’abord
unedouchefroide,maisonpeutaussidéciderdefairetoutcequi
estensonpouvoirpourmodifierceslogiques.CommeTom,quia
pris conscience de ce que la compétition scolaire lui avait infligé
encomprenantnotammentunrêveoùleséliminésdecettecourse
étaientdesmortssurlaroute.Unetelleexplicitation,aprèscoup,
peutsembleruneévidence,maisilafalludesheuresetdesheures
de questionnements pour en arriver là, l’interroger sur l’identité
dechacundecesaccidentés,cequilescaractérisait,pourquoilui
poursuivaitsaroutecommeunguerrier,etc.
Maisnedevons-nouspasaussinousprotégerdecertaines
vérités,dontladécouvertepourraittropnousatteindre ?
Gérard, le sujet le plus âgé, a noté pendant quarante années ses
rêves,sitrashetviolentsqu’ilspourraientconduireàl’imaginer
commeunpersonnageabîmé,destroy,alorsqu’iln’enestrien.Ils
faisaientéchoàuntrèsprobableviolparsongrand-pèredurant
sonenfance.S’ilapumenerunevieamicale,unevieamoureuse
apaisée, avec de belles histoires, Gérard n’a pas souhaité avoir
d’enfant, sans doute par crainte d’être lui-même agresseur,
comme le donnent à penser ses rêves. Il s’est protégé de ce
traumatisme par la fuite, travaillant à l’étranger la plus grande
partiedesavie.MaisderetourenFrance,ilavoulusavoircequi
le faisait souffrir, ce qui han-
tait ses nuits depuis si long-
temps. L’avoir découvert
l’apaise. Parmi mes volon-
taires, il est le seul à avoir
choisiquejenemodifieniles
noms ni les lieux dans son
témoignage, car cela clôt
enfincettehistoirepourlui.
Avec cette méthodologie
très opérante, espérez-
vous que d’autres s’en
emparent, que l’analyse
sociologique des rêves se
généralise ?
Je pourrais sans doute faire
breveter ma méthode et for-
mer des sociothérapeutes
ouvrant leurs propres cabi-
nets. Freud a mis sur pied la
psychanalyse avec ses écoles,
ses formations, ses cabinets,
en s’appuyant sur une
méthodesommetoutemoins
définie. Quelques personnes
m’ont même sollicité à ce
sujet, y trouvant une possible
applicationpourleurscompé-
tences en sociologie. Cela
ferait sens, mais mettre au
point les bases d’un nouveau
métier serait extrêmement
chronophage et je suis déjà
lancédansdenouvellesaven-
tures scientifiques. Parmi la
douzaine de volontaires que
j’aisuivis,l’effetthérapeutique
n’aététrèsclairquepourdeux
personnes. J’ignore si l’éluci-
dation des rêves peut per-
mettre d’aller mieux, car ce
n’était pas le but de mes
recherches, mais on en
apprendénormémentsursoi,
c’estcertain.■
UNRÊVEAUBANCD’ESSAI(2)
LADESTITUTIONDETRUMP,rêvedu16janvier2018
Clément,28ans,estinterneenpsychiatrie.
Filsd’unchirurgienetd’unemèreau
psychismeinstable,ilaépouséJulie,
dontiladmirelesqualitésintellectuelles.
L’organisationdesonmariageadéclenché
unviolentconflitavecsafamille.
Noussommesdansunbeaurestaurant
françaisquiseveutchicauxUSAavecJulie.
D’ailleurs,ilyaunpianodanslasalle
etDonaldTrumppasloin.Noussavons
enentrantqueTrumpvientmangerici
etqu’illivreparfoisdessecretsàson
entouragelorsquequelqu’unjouedupiano,
enpensantqu’onnel’entendraitpas.Ni
une,nideux,jememetsaupianoenjouant
X(chansondevariété)afinqueTrumplivre
dessecretsàJulieetqu’ellepourraitlivrer
àlapressepourqu’enfinilsoitdestitué!On
m’applauditetjereviensm’asseoiràma
table.Trumpestpartimaisnousrecevons
desfleursdesafemmequiressembleà
GlennCloseetvientnoustoucherdeux
motsconcernantmaperformance.Nous
enlevonsleplastiquedecesfleursquine
sontencorequedesbourgeons.Nousne
sommespasravisdesoncadeau,parce
quec’estlafemmedeTrump.
INTERPRÉTATION DU RÊVE
Destituerunpersonnagepuissantrenvoie
àunthèmedéjàclairementidentifiédans
sesrêvesprécédents:laplacedupèreest
convoitéeparlefils.Enjouantdupiano,
Clémentessayed’inciterTrump/sonpèreà
livrerdessecretsqueJulie,sacomplice,
pourraitlivrerauxmédias.Ilsemeten
scèneprenantlalumière,sefaisant
applaudir.Sonpèreétant,àsesyeux,
unepersonnenarcissique,quiatoujours
cherchéàattirerlesregards,cesovations
manifestentsondésirquel’attentionse
portedésormaissurlui.Clément,quiafait
dupianoenfant,aapprisseulàjouerX:une
chansonquesonpèreadoreetquiaété
jouéeàl’enterrementdesongrand-père,
« quiparledenostalgieetd’enfance».
DonaldTrumpestl’analogondesonpère,
qu’ilchercheàdestituer,symboleàsesyeux
d’une«puissanceproblématique»mais
aussiunpersonnagequilefascine:illittous
lesarticlesàsonsujet.Dansl’entretien,
Clémenttrouvetrèsviolentd’avoir
caricaturésonpèreenDonaldTrump.
Lerêveexagère,dramatiselesoppositions,
enutilisantun«idiot»poursignifier
l’anti-intellectualismedesonpère.Jouer
cettechansonaupiano,c’estaussis’efforcer
deletoucher,del’émouvoirpourparvenir
àlefaireparler.C’estsafemmeJuliequidoit
écoutercessecrets,maisdanslerêve
ellereprésenteaussisasœur,également
prénomméeJulieetquiadécouvertun
messagesurletéléphoneportabledeson
pèreattestantdesoninfidélité.Lafemme
deDonaldTrump,quiressembleàGlenn
Close,estsansdoutel’analogondesamère,
l’actriceincarnantunefemmeatteinted’un
troubleborderlinedanslefilm«Liaison
fatale»,sesouvientClément.Sielleoffre
desfleurs,celacorrespondàsonattitude
defaçadeàl’égarddesabelle-fille,etsielles
sontenbourgeon,c’estpoursignifierque
sescomplimentsn’ensontpasvraiment.Et
Close,lenomdefamilledel’actricequila
représente,signifie« fermer »,enanglais.
(Extraitde« laPartrêvée »,BernardLahire,éditionsLaDécouverte.)