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8 Le Parisien
8 LUNDI 21 DÉCEMBRE 2020
gés. Ils sont également les
plus affectés par des troubles
psy, comme le sentiment
d’isolement ou la perturba-
tion du rythme de sommeil
(77 % des 18-24 ans, contre
59 % pour la moyenne
dessondés).
Unsentimentde
détressegrandissant
chezlesétudiants
« L’incertitude, et surtout le
stressensituationd’incertitu-
de, sont des vecteurs puis-
sants de dépression. Les neu-
rosciences ont également
montré que l’exclusion socia-
leentraîneuneformededou-
leur mentale qui peut s’expri-
mer sous différentes formes,
notamment la dépression et
les idées suicidaires. Il n’est
donc pas étonnant que
ces deux facteurs — l’incerti-
tude et la rupture du lien so-
cial—soientjugéslespluspé-
nibles par les Français »,
analyseRaphaëlGaillard,pro-
fesseur de psychiatrie à l’Uni-
versité de Paris et à la tête
dupôlehospitalo-universitai-
re de l’hôpital Sainte-Anne,
àParis(XIVe).
Les conséquences psycho-
logiques de la pandémie et
des mesures sanitaires, im-
posant confinement et isole-
ment, sont désormais bien
documentées scientifique-
ment. Le nombre de cas de
«troublesdépressifs»apres-
que doublé entre fin septem-
bre et début novembre, pas-
sant de 11 % à 21 %, selon les
résultats d’une étude publiée
le 19 novembre par l’agence
Santé publique France. Cette
dernière alertait également
déjà sur une hausse plus im-
portante chez les jeunes âgés
de 18 à 24 ans (+ 16 points),
mais aussi chez les inactifs et
les personnes en situation fi-
nancièredifficile.
Les étudiants sont ainsi en
première ligne. Un tiers d’en-
tre eux (31 % exactement) ont
présenté des signes de dé-
tresse psychologique, selon
unerécenteétudedel’Obser-
vatoire de la vie étudiante
(OVE). La perspective d’une
réouverture tardive des facs,
qui ne devrait pas avoir lieu
avant le début du mois de fé-
vrier, inquiète donc. Dix pré-
sidents d’université, regrou-
pés sous le nom d’Udice, ont
d’ailleurs réclamé dans un
communiqué commun la
possibilité d’accueillir leurs
étudiants « dès début janvier
avec une jauge de 50 % », dé-
nonçant le risque d’« ajouter
une crise étudiante à la crise
sanitaire».
Dessalariésdeplus
enplusenstressés
Le niveau de stress dans les
entreprises est tout aussi pré-
occupant. Le baromètre Ce-
gos 2020 sur le climat social
enentreprise,réaliséenjuillet
dernier mais qui vient d’être
présenté, indique que 48 %
des salariés estiment que la
première vague de la crise a
amplifié leur niveau de stress
avec, pour 66 % d’entre eux,
un impact négatif sur
leursanté.
Etpourceuxquionttraver-
sé la maladie, les conséquen-
ces psychologiques demeu-
rent. Une enquête menée par
le CHU de Lille auprès
de 180 malades hospitalisés,
publiée en exclusivité dans
noscolonnes,révèleque33%
des patients suivis dans cet
établissement durant la pre-
mièrevaguedel’épidémieont
ensuite développé un état de
détresse psychologique ; 7 %
éprouvaient un syndrome de
stress post-traumatique un
mois après leur séjour à l’hô-
pital, et parfois un passage en
réanimation.
Selon le sondage Odoxa,
les profils les plus vulnérables
actuellement sont les personnes
ayant déjà été touchées par
une dépression et les jeunes,
en particulier les 18-24 ans.
PARCHRISTINEMATEUS
ETAYMERICRENOU
SUR TWITTER, les maux invi-
sibles du confinement pren-
nent la forme de messages
envoyés comme des bou-
teilles jetées à la mer. Ils sont
nombreux ces courts billets
décrivant un état psychologi-
que préoccupant en raison de
lacrisesanitaire.
Comme celui de Pierre.
« Colères, angoisses et autres
joyeusetés sont mon quoti-
dien depuis maintenant
trois semaines. Impossible de
sortir de ce cercle vicieux, de
me concentrer, de travailler.
Je prends un retard phéno-
ménal », s’alarme-t-il. Alex,
elle, a teinté son message
d’une note d’humour noir :
« Négative au Covid mais po-
sitive à la déprime. » Camille,
le 25 novembre, avoue avoir
dumalàreconnaîtresonmal-
être : « Un peu dans le déni
depuis que mon médecin m’a
diagnostiqué un trouble an-
xieuxgénéraliséetquejesuis
àlalimitedeladépression.»
Selon les résultats du der-
nier sondage Odoxa (infogra-
phie ci-dessous) que nous ré-
vélons, réalisé pour le
laboratoireLundbeck,l’incer-
titudequantàlafindel’épidé-
mie et le manque de lien so-
cial sont pour les Français les
éléments les plus pénibles à
vivre dans cette période de
crise (respectivement 46 % et
44 % des sondés). Des émo-
tions oppressantes qui pren-
nent le dessus avant même la
peurdu virusou lescontrain-
tes sanitaires, comme le port
dumasque.
Ceuxquisesententlesplus
vulnérables et pourraient fai-
relesfraisd’unetroisièmeva-
gue « psychiatrique » ? Les
personnes ayant déjà été tou-
chées par une dépression
et les jeunes. Ce sont en effet
ces derniers qui sont les plus
inquiets pour leur situa-
tion professionnelle, à savoir
70 % des 18-24 ans interro-
Covid-19L’incertitude
plombelemoral
desFrançais
Crisequin’enfinitpas,pertedeslienssociaux...
Lapandémieadelourdseffetssurnotreétat
psychologique. Unmalinvisibleconfirmépar
lederniersondageOdoxa,quenousrévélons,
etquiinquiètelesprofessionnelsdesanté.
aL’exclusionsociale
entraîneuneforme
dedouleurmentale
quipeuts’exprimer
sousdifférentes
formes,notamment
ladépressionet
lesidéessuicidaires
RAPHAËLGAILLARD,PROFESSEUR
DEPSYCHIATRIEÀPARIS
59 % des Français ont « souvent » ressenti des troubles
ou des manques depuis le début de la crise sanitaire
LP/INFOGRAPHIE.
Enquête Odoxa pour Lundbeck réalisée les 2 et 3 déc. 2020
par Internet auprès d’un échantillon de 1 004 personnes
représentatif de la population française âgée de 18 ans
et plus. Méthode des quotas.
Dont par âge :
18-24 ans 77 %
Depuis le début de la crise sanitaire, vous arrive-t-il
de ressentir les troubles/manques suivants ?
Total des réponses positives (« souvent » ou « parfois ») :
25-34 ans 71 %
35-49 ans 56 %
50-64 ans 55 %
65 ans
et plus
53 %
Sentiment d’isolement
Manque d’activité physique
Ennui
Impression d’être sous pression
Perturbation du rythme
de votre sommeil
Sentiment de colère
Baisse de votre libido
Renforcement de vos addictions
(alcool, tabac...)
62 %
61 %
58 %
56 %
55 %
55 %
40 %
23 %
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2. Le Parisien 9LUNDI 21 DÉCEMBRE 2020 9
LE MINISTRE DE LA SANTÉ,
OlivierVéran,alui-mêmedé-
clarévouloir«éviterunetroi-
sième vague, qui serait une
vague de la santé mentale ».
La crise sanitaire, et en parti-
culierleconfinement,pèsede
plusenplussurlemoral.Mais
comment faire la distinction
entre nos émotions négatives
en réaction aux obstacles qui
régissent actuellement notre
quotidien et des symptômes
de la dépression ou de l’an-
xiété ? « Etre agacé, inquiété
par les annonces gouverne-
mentales, c’est une réaction
saine. Le problème, c’est lors-
que des signes d’alerte durent
environ trois semaines en
continu. Si c’est le cas, il faut
consulter », prévient le Pr Mi-
chelLejoyeux,chefduservice
de psychiatrie et d’addictolo-
gie à l’hôpital Bichat, à Paris.
Maisquelssontcessignes?
nLaperted’envie
« C’est comme si les gens
baissaient les bras, décro-
chaient », résume la psychia-
tre Fanny Jacq, parailleursdi-
rectrice santé mentale sur la
plate-forme Qare, créée pour
proposer des téléconsulta-
tions.Ontraîne,ons’alimente
mal (attention aux variations
de poids), on ne participe plus
àlaviedelafamille.
«Lapersonnes’estcomme
autoconfinée. Elle ne bouge
pas malgré l’allègement des
contraintes. Si vous avez
compté les jours avant
l’ouverture des boutiques,
c’est bon signe », rassure
le Pr Lejoyeux. Les gens tou-
chés dorment beaucoup.
C’est une sorte de sommeil
refuge. « L’anxieux rencontre
des difficultés à trouver le
sommeil. Le dépressif, lui, se
couche tôt, s’endort facile-
ment mais se réveille vers
3 heures. Toutefois, il reste au
lit et retarde au maximum
l’heure du lever », décrit Fan-
nyJacq.
nL’irritabilité
Cesontdessurréactionspour
des petites choses, de la ner-
vosité mais aussi la remise en
cause des propos et des opi-
nions des proches. « Tout les
a g a c e e t l e m e i l l e u r
punching-ball, c’est souvent
le conjoint. Or, l’entourage va
souvent mettre ça sur le
compte d’un mauvais carac-
tère sans forcément imaginer
une forme de dépression. Ces
personnes qui vont mal re-
mettent ainsi tout en cause, y
comprisleurfaçon de vivre »,
précise Fanny Jacq. La vie so-
ciale ou le travail, les collè-
guesfaisaienttampon.Avecle
confinement, ce cadre a ex-
plosé. « Nous sommes parti-
culièrement vigilants pour
ceux qui ont déjà eu des his-
toiresdépressives.Ilssonten-
core plus vulnérables », ajou-
telePr Lejoyeux.
nUnrythmeralenti
« On ne parle plus beaucoup,
on bouge plus doucement, on
prend du temps pour s’ha-
biller, descendre les poubel-
les… Même la pensée est ra-
lentie. La personne est
comme dans une sorte d’hi-
bernation. Elle fait les choses
mais tout lui coûte comme si
elle traînait des poids dans le
corps et l’esprit », dépeint
le chef de service, également
auteur du livre « les 4 Temps
de la renaissance », (aux édi-
tionsJCLattès).
nEstimedesoienberne
Nepasnousaccepteretman-
quer de sentiments positifs
enversnotreproprepersonne
nous laisse sans ressources
psychologiques. Nous som-
mes dans le désintérêt de
nous-mêmes,malavecnous-
mêmes. Et si le signe de la
culpabilité n’est pas toujours
présent, il est en revanche
trèsspécifiqueàladépression
quand il existe. « C’est l’idée
du j’aurais pu gérer un peu
mieux tout ça. Vous vous fai-
tes des reproches, vous vous
dites que tout cela est un peu
de votre faute », explique le
Pr Lejoyeux.
nLarumination
C’est l’un des signes de l’an-
xiété. « On ressasse les pro-
blèmes sans être dans la re-
cherche de solutions. On
tourne en boucle », explique
Fanny Jacq. Mais la manifes-
tation la plus connue reste la
crised’angoissequipeutvous
plier en deux, avec des diffi-
cultés à respirer… L’anxiété
peut aussi entraîner certaines
personnes vers des compor-
tementshypocondriaques.
nL’augmentation
desaddictions
Les pauses cigarette qui se
multiplient, une consomma-
tion accrue d’alcool… Tout est
désormais à portée de main,
et facilité par le télétravail.
Parce qu’on s’ennuie, qu’on
n’arrive pas à trouver le som-
meil… Tous les prétextes sont
bons. « C’est vrai que, dans
l’heure, la consommation
d’alcool va vous rendre
euphorique, mais c’est un
faux ami. Cela augmente le
risque dépressif », prévient
Michel Lejoyeux. « L’alcool
fait notamment baisser la sé-
rotonine (NDLR : l’hormone
du bonheur). Or, on note une
reprise d’un alcoolisme soli-
taire », constate de son côté
FannyJacq.
CHRISTINEMATEUS
Lessignesquidoiventvousalerter
aLaconsommation
d’alcool[peut]vous
rendreeuphorique
maisc’estunfauxami.
Elleaugmente
lerisquedépressif.
MICHELLEJOYEUX,PSYCHIATRE