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18 u Libération Lundi 28 Décembre 2020
Pour mieux prendre
conscience des enjeux
climatiques,
le philosophe nous
invite à voir dans
les icebergs et
les glaciers des êtres
vivants, comme
le font ceux qui
les étudient ou vivent
auprès d’eux.
Recueilli par
Catherine Calvet
et Thibaut Sardier
pourluideconvaincresescontem-
porains que la montagne a besoin
du loup afin de réguler l’éventuel
surplus de cerfs et d’éviter que les
arbres ne soient complètement
­défoliés. Chaque être compte dans
l’équilibregénérald’unécosystème
donné. Penser comme un iceberg
exige d’abolir les miroirs, de consi-
dérernotreplanètetellequ’elleest,
jusquedanssesrégionsextrêmes,et
nontellequenousvoudrionsqu’elle
soit pour nous uniquement, inerte
et à notre disposition. Sans quoi
nous peinerons toujours à prendre
la vraie mesure des interactions
­entre les êtres vivants humains
et non humains. Une biodiversité
existe dans les glaces. Elle suit ses
rythmespropresetlespopulations
autochtones s’insèrent depuis des
siècles dans ces milieux.
Penser comme un iceberg ou
comme un glacier, est-ce aussi
savoir percevoir les signes, les
couleursetlessonsparlesquels
L’île de l’Eléphant, située au nord-
Idées/
OlivierRemaud
«Les glaciers sont
des partenaires sociaux:
on les consulte, on leur parle,
on ne veut pas les offenser»
L
esglacierssontmassifs,froids
et se déplacent lentement. Il
en va de même des icebergs,
blocs gelés qui flottent sur l’eau
aprèss’êtredétachésdesglaciers…
et qui sont en plus des entités bien
solitaires. Ces caractéristiques gla-
ciales donnent assez peu envie de
leurressembler.Etpourtant,Olivier
RemaudnousinviteàPensercomme
uniceberg(ActesSud).Danscelivre,
lephilosopheetdirecteurd’études
à l’Ecole des hautes études en
­sciencessociales(EHESS)montreà
quelpointlavieinondecesêtresde
glace.Ilnousinviteàyvoirdes­«ar-
ches de vie» et à considérer tout ce
qui nous relie à eux, car c’est le
meilleur moyen de changer notre
rapportaumondepourluttercontre
le réchauffement climatique.
En quoi les glaciers et les ice-
bergs peuvent-ils être considé-
rés comme des êtres vivants?
D’abordparcequelesicebergssont
des écosystèmes mobiles, de véri­-
tablesarchesdevie.Surleursflancs
s’accrocheunemultitudedemicro-
algues attirées par les sels nutritifs
del’eau.Cesminusculesorganismes
sontdesélémentsprimordiauxpour
la vie des autres êtres vivants dans
les milieux polaires. La glace fait
partie de l’existence quotidienne
despopulationsautochtonesdesla-
titudesboréalesainsiquedeshabi-
tantsdehautsmassifsmontagneux
partout sur la planète. Les glaciers
sontdespartenairessociaux,lessu-
jets de rituels collectifs et d’atten-
tionsmultiples.Onlesconsulte,on
leurparle,onneveutpaslesoffen-
ser.Ons’assurequ’ilscontribuenten
retour à la bonne organisation des
groupes humains. Autrement dit,
ce sont des personnages à part en-
tièredansdeshistoirescommunes.
Il n’y a là aucune superstition: les
sociétés réfléchissent souvent sur
elles-mêmesensollicitantdesauxi-
liaires non humains. Enfin, on
­déclareenglaciologiequ’unglacier
n’est plus que de la «glace morte»
lorsqu’il a perdu sa masse au point
d’êtrerevenuàl’étatdenévé,simple
amasdeneige.Onsupposequ’ilest
né, qu’il a grandi, puis décliné, et
qu’il était auparavant bien vivant.
Cette idée de vie vient aussi du
mot utilisé pour décrire la nais-
sance des icebergs: «le vêlage».
Même si l’origine de cet usage est
difficile à tracer, le terme de vêlage
(calvingenanglais)estattestédans
lemilieudesbaleiniersdèsledébut
du XIXe siècle. Il instruit une équi-
valencesingulièreentre,d’unepart,
un glacier et une vache ou une ba-
leine qui mettent bas, et d’autre
part, un iceberg et un veau ou
­unbaleineauquinaissent.Lacom­-
munautéscientifiquel’aenregistré
dansseslexiquesspécialisés,etilest
passé dans le langage courant.
Onpeutyvoirunelicencepoétique,
mais il témoigne plutôt de ce que
j’appelle un «animisme spontané».
Levêlagemetenscèneunevienou-
velle. Ce mot vient troubler le dis-
cours qui oppose une nature ina­-
nimée à la culture. Il nous invite à
dépasser la grande division occi-
dentale entre les choses et les per-
sonnes.C’estpourquoij’aitraquéle
vocabulairedelavieetlesexpérien-
ces qui lui correspondent dans les
savoirs collectifs et jusque dans les
rangs des sciences.
Diriez-vous qu’aujourd’hui, les
scientifiques et les riverains de
glaciersontlamêmeconception
de ces zones de glace?
Par delà les approches différentes,
jepensequetoutlemondepartage
une même gamme de sentiments.
Face à des entités de glace, parfois
si massives, chacun éprouve une
­réelle empathie. J’en veux pour
preuve l’émotion qui étreint toute
personne qui voit un iceberg en
pleinocéanouunglaciersuspendu
enmontagnepourlapremièrefois.
Onnesedemandepass’ilfautprê-
ter une âme à des assemblages de
cristaux arrondis tassés les uns sur
lesautres. On reconnaît une forme
deviecommeétantdéjàprésenteen
euxetprécédantleregard.Ilyaurait
undialogueintéressantàinaugurer
surlabasedetellesexpériences.On
se rendrait compte que nos façons
«naturalistes» de percevoir et de
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nuéesd’animismeetquecelui-cine
contreditpasforcémentleraisonne-
ment scientifique.
Ce lien avec l’iceberg est-il un
défi lancé au regard occidental,
quiséparenatureetculture,hu-
main et non-humain?
De nos jours, beaucoup estiment
encore que les zones de glace sont
désertiques et «désolées». La soli-
tudedel’icebergestl’undesmythes
indissociablesdudualismenature-
culturequividelanaturedelaplu-
partdesesêtresvivants.Danscette
veine,lesrécitsdenombreuxvoya-
geurspolairesdéveloppentunima-
ginaire romantique. L’iceberg évo-
lue dans les solitudes océaniques,
comme une cathédrale posée sur
l’eau.Miroirdenosdésespoirs,c’est
un fragment sublime qui reflète
­autantlagrandeurdel’œuvredivine
que la misère de la condition hu-
maine.Certainsontvitedevinéque
les icebergs ne se bornent pas à il-
lustrer une esthétique du sublime.
Mais ils ne plongeaient pas sous la
surface de la mer, et les mots leur
manquaientpourlesdécrireautre-
ment. Il nous est possible mainte-
nantdedécouvrirlavielàoùellese
déploie, grâce à des équipements
élaborés.Iln’yaplusaucuneraison
de se représenter l’iceberg comme
un tombeau.
Enquoicettereconnaissancede
laviedanslaglacenousconduit-
elleà«pensercommeuniceberg»,
pour reprendre le titre de votre
­livre?
Letitreestunclind’œilàlaformule
del’écologueAldoLeopold:«Penser
commeunemontagne.» Ils’agissait
Feu la glace? (1/4)
Tant va la glace à l’eau, qu’à la fin elle fond: le réchauffement
climatique menace les icebergs et les glaciers de disparition.
Glaciologues et explorateurs nous emmènent à la découverte
de ces masses de glace bien vivantes, thermomètre de l’état
de santé de notre planète.
Libération Lundi 28 Décembre 2020 u 19
ils nous «parlent»?
Lacommunautéscientifiquescrute
les comportements des glaciers et
desicebergs.Elleétablitleurétatde
santé,mesurelesévolutionsdeleur
masse et enregistre leur«voix». En
outre,laglacealamémoirelongue
etelleestbavarde.Leséchantillons
prélevésparcarottagenousparlent
duclimatpassé.Ilsconfirmentque
nos histoires humaines sont liées
àl’histoirenaturelledelaTerre.Pas
de doute, les entités de glace sont
d’unemanièregénéraletrèsexpres-
sives:leurscouleurschangentaufil
des saisons et des époques. Elles
sedéplacent,respirentetfontconti-
nuellement leur gymnastique.
­Ellesontunepersonnalité,unebio­-
graphie.Quivitàleurcôtéapprend
àdéchiffrercessignes.Cettecohabi-
tation lui permet d’appréhender le
dérèglementclimatiqueimmédia­-
tement, avec tous ses sens.
C’est ce que nous ne percevons
pas toujours: de plus en plus de
­algues de la banquise fournissent
unegrandepartdel’oxygènemon-
dial. A chaque fonte nouvelle, les
êtres­vivantssurlaplanèterespirent
un peu moins bien. Or la glace qui
disparaît ne reforme plus de gla-
ciers.Lescouchesrécentesn’ontpas
le temps de tasser les couches an-
ciennes.Le­géophysicienMarcoTe-
desco parle de «cannibalisme de la
fonte». Il explique que la fonte se
nourritd’elle-mêmeetqueleméca-
nisme,unefoisenclenché,estirré-
versible. Les vieilles glaces se raré-
fient dans le Grand Nord et au-
delà. La dyna­mique positive est
grippée.Les­neigeséternelleslesont
de moins.
Beaucoupdepersonneséprouvent
aujourd’hui une émotion particu-
lière devant des glaciers qui, ayant
réduit de moitié ou plus encore,
laissent la place à des étendues
de rocailles nues. Le philosophe
Glenn Albrecht a forgé un terme
pour qualifier ce genre de senti-
ment: nous sommes saisis par la
«solastalgie», par une détresse
­écologique.
Cette solastalgie vaut-elle aussi
pour ceux, comme nous, qui vi-
ventloindesglaciersoudesice-
bergs,etnesontpaslestémoins
directs de cette disparition?
Avoir conscience que les écosys­-
tèmes se dégradent sous nos yeux
est éprouvant. Celles et ceux qui y
vivent ont même l’impression que
leur corps est amputé. Mais quand
on n’habite ni dans des régions
­boréales ni dans des massifs mon­-
tagneux,peut-oneneffetéprouver
cette solastalgie avec la même in-
tensité? Les mondes de glace sem-
blent parfois si éloignés, si autres,
sihostiles.Ilnousmanqueunsenti-
mentcosmopolitiquequinousrap-
procherait d’eux et de leur vie sau-
vage.Lasolastalgieestuneémotion
qui ignore les frontières. Si nous
l’éprouvionsvraimentàl’égarddes
glaciers, des icebergs, et aussi de
labanquise,nousfranchirionsune
étape. Il faudrait alors nous em-
ployer à la dépasser le plus rapi­-
dementpossible.Carsinousypar­-
venions,ceseraitlesignequenous
avonsconvertiuneanxiétéeninitia-
tiveetquenousavonscommencéà
agirtrèsconcrètement.Pourtoutes
cesraisons,l’avenirdelaplanètese
joue dans les glaces.•
touristes partent en croisière
pour admirer les vêlages, sans
voir qu’ils sont un signe du
changement climatique.
Il est normal que le «front» d’un
­glaciercôtiersecasseetlibèredans
l’océandesmorceauxdelui-même.
Samasseobéitàuneloimécanique
de fracturation. Elle réagit égale-
mentàl’actioncorrosivedel’eaude
mer salée. Assister à la naissance
d’unicebergestuneexpériencevi-
suelleetsonorechaquefoisunique,
puissante et inoubliable. Le tou-
rismepolaireestpourtantceluidela
«dernièrechance».Silephénomène
devêlagen’estpasinquiétantenlui-
même, c’est sa multiplication qui
l’est.Lescalottesglaciairesserétrac-
tent, les glaciers s’amenuisent, le
nombred’icebergsaugmente,cequi
veut dire que le ­réchauffement cli-
matique s’accélère. Le cycle global
del’eaus’entrouvemodifié,etavec
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  • 1. 18 u Libération Lundi 28 Décembre 2020 Pour mieux prendre conscience des enjeux climatiques, le philosophe nous invite à voir dans les icebergs et les glaciers des êtres vivants, comme le font ceux qui les étudient ou vivent auprès d’eux. Recueilli par Catherine Calvet et Thibaut Sardier pourluideconvaincresescontem- porains que la montagne a besoin du loup afin de réguler l’éventuel surplus de cerfs et d’éviter que les arbres ne soient complètement ­défoliés. Chaque être compte dans l’équilibregénérald’unécosystème donné. Penser comme un iceberg exige d’abolir les miroirs, de consi- dérernotreplanètetellequ’elleest, jusquedanssesrégionsextrêmes,et nontellequenousvoudrionsqu’elle soit pour nous uniquement, inerte et à notre disposition. Sans quoi nous peinerons toujours à prendre la vraie mesure des interactions ­entre les êtres vivants humains et non humains. Une biodiversité existe dans les glaces. Elle suit ses rythmespropresetlespopulations autochtones s’insèrent depuis des siècles dans ces milieux. Penser comme un iceberg ou comme un glacier, est-ce aussi savoir percevoir les signes, les couleursetlessonsparlesquels L’île de l’Eléphant, située au nord- Idées/ OlivierRemaud «Les glaciers sont des partenaires sociaux: on les consulte, on leur parle, on ne veut pas les offenser» L esglacierssontmassifs,froids et se déplacent lentement. Il en va de même des icebergs, blocs gelés qui flottent sur l’eau aprèss’êtredétachésdesglaciers… et qui sont en plus des entités bien solitaires. Ces caractéristiques gla- ciales donnent assez peu envie de leurressembler.Etpourtant,Olivier RemaudnousinviteàPensercomme uniceberg(ActesSud).Danscelivre, lephilosopheetdirecteurd’études à l’Ecole des hautes études en ­sciencessociales(EHESS)montreà quelpointlavieinondecesêtresde glace.Ilnousinviteàyvoirdes­«ar- ches de vie» et à considérer tout ce qui nous relie à eux, car c’est le meilleur moyen de changer notre rapportaumondepourluttercontre le réchauffement climatique. En quoi les glaciers et les ice- bergs peuvent-ils être considé- rés comme des êtres vivants? D’abordparcequelesicebergssont des écosystèmes mobiles, de véri­- tablesarchesdevie.Surleursflancs s’accrocheunemultitudedemicro- algues attirées par les sels nutritifs del’eau.Cesminusculesorganismes sontdesélémentsprimordiauxpour la vie des autres êtres vivants dans les milieux polaires. La glace fait partie de l’existence quotidienne despopulationsautochtonesdesla- titudesboréalesainsiquedeshabi- tantsdehautsmassifsmontagneux partout sur la planète. Les glaciers sontdespartenairessociaux,lessu- jets de rituels collectifs et d’atten- tionsmultiples.Onlesconsulte,on leurparle,onneveutpaslesoffen- ser.Ons’assurequ’ilscontribuenten retour à la bonne organisation des groupes humains. Autrement dit, ce sont des personnages à part en- tièredansdeshistoirescommunes. Il n’y a là aucune superstition: les sociétés réfléchissent souvent sur elles-mêmesensollicitantdesauxi- liaires non humains. Enfin, on ­déclareenglaciologiequ’unglacier n’est plus que de la «glace morte» lorsqu’il a perdu sa masse au point d’êtrerevenuàl’étatdenévé,simple amasdeneige.Onsupposequ’ilest né, qu’il a grandi, puis décliné, et qu’il était auparavant bien vivant. Cette idée de vie vient aussi du mot utilisé pour décrire la nais- sance des icebergs: «le vêlage». Même si l’origine de cet usage est difficile à tracer, le terme de vêlage (calvingenanglais)estattestédans lemilieudesbaleiniersdèsledébut du XIXe siècle. Il instruit une équi- valencesingulièreentre,d’unepart, un glacier et une vache ou une ba- leine qui mettent bas, et d’autre part, un iceberg et un veau ou ­unbaleineauquinaissent.Lacom­- munautéscientifiquel’aenregistré dansseslexiquesspécialisés,etilest passé dans le langage courant. Onpeutyvoirunelicencepoétique, mais il témoigne plutôt de ce que j’appelle un «animisme spontané». Levêlagemetenscèneunevienou- velle. Ce mot vient troubler le dis- cours qui oppose une nature ina­- nimée à la culture. Il nous invite à dépasser la grande division occi- dentale entre les choses et les per- sonnes.C’estpourquoij’aitraquéle vocabulairedelavieetlesexpérien- ces qui lui correspondent dans les savoirs collectifs et jusque dans les rangs des sciences. 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Ce lien avec l’iceberg est-il un défi lancé au regard occidental, quiséparenatureetculture,hu- main et non-humain? De nos jours, beaucoup estiment encore que les zones de glace sont désertiques et «désolées». La soli- tudedel’icebergestl’undesmythes indissociablesdudualismenature- culturequividelanaturedelaplu- partdesesêtresvivants.Danscette veine,lesrécitsdenombreuxvoya- geurspolairesdéveloppentunima- ginaire romantique. L’iceberg évo- lue dans les solitudes océaniques, comme une cathédrale posée sur l’eau.Miroirdenosdésespoirs,c’est un fragment sublime qui reflète ­autantlagrandeurdel’œuvredivine que la misère de la condition hu- maine.Certainsontvitedevinéque les icebergs ne se bornent pas à il- lustrer une esthétique du sublime. Mais ils ne plongeaient pas sous la surface de la mer, et les mots leur manquaientpourlesdécrireautre- ment. Il nous est possible mainte- nantdedécouvrirlavielàoùellese déploie, grâce à des équipements élaborés.Iln’yaplusaucuneraison de se représenter l’iceberg comme un tombeau. Enquoicettereconnaissancede laviedanslaglacenousconduit- elleà«pensercommeuniceberg», pour reprendre le titre de votre ­livre? Letitreestunclind’œilàlaformule del’écologueAldoLeopold:«Penser commeunemontagne.» Ils’agissait Feu la glace? (1/4) Tant va la glace à l’eau, qu’à la fin elle fond: le réchauffement climatique menace les icebergs et les glaciers de disparition. Glaciologues et explorateurs nous emmènent à la découverte de ces masses de glace bien vivantes, thermomètre de l’état de santé de notre planète.
  • 2. Libération Lundi 28 Décembre 2020 u 19 ils nous «parlent»? Lacommunautéscientifiquescrute les comportements des glaciers et desicebergs.Elleétablitleurétatde santé,mesurelesévolutionsdeleur masse et enregistre leur«voix». En outre,laglacealamémoirelongue etelleestbavarde.Leséchantillons prélevésparcarottagenousparlent duclimatpassé.Ilsconfirmentque nos histoires humaines sont liées àl’histoirenaturelledelaTerre.Pas de doute, les entités de glace sont d’unemanièregénéraletrèsexpres- sives:leurscouleurschangentaufil des saisons et des époques. Elles sedéplacent,respirentetfontconti- nuellement leur gymnastique. ­Ellesontunepersonnalité,unebio­- graphie.Quivitàleurcôtéapprend àdéchiffrercessignes.Cettecohabi- tation lui permet d’appréhender le dérèglementclimatiqueimmédia­- tement, avec tous ses sens. C’est ce que nous ne percevons pas toujours: de plus en plus de ­algues de la banquise fournissent unegrandepartdel’oxygènemon- dial. A chaque fonte nouvelle, les êtres­vivantssurlaplanèterespirent un peu moins bien. Or la glace qui disparaît ne reforme plus de gla- ciers.Lescouchesrécentesn’ontpas le temps de tasser les couches an- ciennes.Le­géophysicienMarcoTe- desco parle de «cannibalisme de la fonte». Il explique que la fonte se nourritd’elle-mêmeetqueleméca- nisme,unefoisenclenché,estirré- versible. Les vieilles glaces se raré- fient dans le Grand Nord et au- delà. La dyna­mique positive est grippée.Les­neigeséternelleslesont de moins. Beaucoupdepersonneséprouvent aujourd’hui une émotion particu- lière devant des glaciers qui, ayant réduit de moitié ou plus encore, laissent la place à des étendues de rocailles nues. Le philosophe Glenn Albrecht a forgé un terme pour qualifier ce genre de senti- ment: nous sommes saisis par la «solastalgie», par une détresse ­écologique. Cette solastalgie vaut-elle aussi pour ceux, comme nous, qui vi- ventloindesglaciersoudesice- bergs,etnesontpaslestémoins directs de cette disparition? Avoir conscience que les écosys­- tèmes se dégradent sous nos yeux est éprouvant. Celles et ceux qui y vivent ont même l’impression que leur corps est amputé. Mais quand on n’habite ni dans des régions ­boréales ni dans des massifs mon­- tagneux,peut-oneneffetéprouver cette solastalgie avec la même in- tensité? Les mondes de glace sem- blent parfois si éloignés, si autres, sihostiles.Ilnousmanqueunsenti- mentcosmopolitiquequinousrap- procherait d’eux et de leur vie sau- vage.Lasolastalgieestuneémotion qui ignore les frontières. Si nous l’éprouvionsvraimentàl’égarddes glaciers, des icebergs, et aussi de labanquise,nousfranchirionsune étape. Il faudrait alors nous em- ployer à la dépasser le plus rapi­- dementpossible.Carsinousypar­- venions,ceseraitlesignequenous avonsconvertiuneanxiétéeninitia- tiveetquenousavonscommencéà agirtrèsconcrètement.Pourtoutes cesraisons,l’avenirdelaplanètese joue dans les glaces.• touristes partent en croisière pour admirer les vêlages, sans voir qu’ils sont un signe du changement climatique. Il est normal que le «front» d’un ­glaciercôtiersecasseetlibèredans l’océandesmorceauxdelui-même. Samasseobéitàuneloimécanique de fracturation. Elle réagit égale- mentàl’actioncorrosivedel’eaude mer salée. Assister à la naissance d’unicebergestuneexpériencevi- suelleetsonorechaquefoisunique, puissante et inoubliable. Le tou- rismepolaireestpourtantceluidela «dernièrechance».Silephénomène devêlagen’estpasinquiétantenlui- même, c’est sa multiplication qui l’est.Lescalottesglaciairesserétrac- tent, les glaciers s’amenuisent, le nombred’icebergsaugmente,cequi veut dire que le ­réchauffement cli- matique s’accélère. Le cycle global del’eaus’entrouvemodifié,etavec lui toutes les ­chaînes vitales. Rappelons par ailleurs que les ouest de l’Antarctique, dans les îles Shetland du sud, en décembre 2019. Photo Camille Seaman