ZONE FRANC, POUR UNE EMANCIPATION AU BENEFICE DE TOUS
Conference de Paris sur le Climat : un accord financier
1. CLIMAT : VERSIONS FRANCAISE ET ANGLAISE
(Version française du 27/11/2015)
Conférence de Paris sur le Climat : un accord financier
La Conférence sur le Climat qui va bientôt se tenir se déroulera à un moment
politiquement très tendu, environnementalement très urgent et économiquement
très faible.
Au cours de ces dernières années, l'engouement pour la coopération
internationale a fléchi. Les grandes nations s'opposent sur les questions
géostratégiques comme jamais depuis la guerre froide. La confiance enthousiaste
dans la coopération internationale qu’avait provoqué la crise financière mondiale
et qui s’était matérialisée au G20 de Londres a reculé et la capacité à trouver des
compromis pour le bien être de tous semble aujourd’hui bien limitée.
D’un autre coté, l’urgence environnementale a crû. La plupart des projections
officielles suggèrent que le réchauffement climatique est maintenant bien parti
pour dépasser 2 degrés Celsius en 2100 avec des conséquences graves et
irréversibles pour la planète et la vie humaine. Et cela, sans même tenir compte de
la possible sous-estimation des émissions de gaz à effet de serre dans nombre de
pays, de la fraude et des déceptions occasionnées par les projets de séquestration
du carbone partout dans le monde.
Finalement, 8 ans après le début de la crise financière, l’économie mondiale
reste anémique réduisant d’autant la possibilité de mettre en œuvre des politiques
généreuses et tournées vers l’avenir. Le Japon est techniquement en récession
malgré une politique de relance très agressive. La Chine entreprend un lent
rééquilibrage de son économie qui, pour bienvenu qu’il soit, fait payer un tribu très
lourd à la production industrielle mondiale. L’Europe reste handicapée par son
incapacité à traiter la crise de la monnaie unique et s’est piégée elle-même dans le
corset d’une politique économique qui alimente les forces déflationnistes à la fois
dans la zone euro et dans le monde. Quant aux Etats Unis, aussi solide que soit la
reprise, elle ne peut pas, seule, tirer le monde entier de sa peine.
Aussi une solution ambitieuse doit-elle être trouvée pour éviter de répéter
l’échec du sommet de Copenhague. En dépit des indications de l’OCDE qui tentent
2. 2
de montrer que des progrès sont en cours1, l’objectif d’une levée de fonds
d’environ 100 milliards de USD par an d’ici 2020 pour mener de grandes politiques
d’adaptation énergétique dans les pays en développement est loin d’être atteint.
Les économies avancées tentent en fait d’échapper à leurs responsabilités en se
défaussant de leurs engagements vers le secteur privé et les banques de
développement. En réalité, il n’y a aucun espoir de pouvoir monter un co-
investissement crédible et efficace avec le secteur privé, et ce pour deux raisons:
d’abord, parce qu’il peut s’agir d’investissements qui auraient eu lieu de toutes
façons et qui ne peuvent donc pas être présentés comme une véritable
contribution nouvelle et, ensuite, parce que le secteur privé ne peut pas s’engager à
aussi long terme si bien que ses promesses non tenues ne serviront qu’à justifier
après coup pourquoi l’objectif de 100 milliards n’a pas été atteint. C’est pourquoi
les pays en développement sont fondés à réclamer un financement principalement
public mais qui ne se fasse pas au détriment de l’aide au développement qui est
déjà en retard sur les engagements passés.
Nous savons tous comment la conférence de Paris va finir. Au mieux, les
membres vont s’engager à fournir un montant total de ressources budgétaires
tentant d’atteindre le chiffre de 100 milliards. Mais les promesses ne sont que des
promesses et dans les années à venir ces ressources si nécessaires partiront en
fumée ou n’apparaitront que grâce a d’ingénieux doubles comptes.
Il y a un moyen d’éviter cela, il repose sur deux actions courageuses pour
alimenter un Fonds Vert pour le financement de la transition qui fournira les
ressources nécessaires pour les investissements visant à réduire les émissions
dans les pays émergents et les pays en développement.
Tout d’abord il faut que tous les gouvernements présents s’engagent à mettre en
place une taxe carbone progressive. C’est le meilleur moyen de garantir une
contribution budgétaire respectant l’équité entre les pays et les individus. Une
étude récente de Piketty et Chancel2 croisant les émissions avec les distributions
de revenus a montré que les 10% des individus les plus riches produisaient 43%
des émissions dans le monde. La meilleure manière de traiter ce problème dans
chaque pays est de mettre en place une taxe carbone nationale progressive et de
transférer tout ou partie de son rendement au Fonds Vert.
Ensuite, la communauté internationale devrait demander au Fonds Monétaire
International de procéder à une émission significative et récurrente de Droits de
Tirage Spéciaux (DTS) pour compléter le financement du Fonds Vert. En pratique,
cela se substituera aux engagements budgétaires en créant de la liquidité par les
banques centrales et cela profitera largement aux pays émergents et en
développement qui recevront cette allocation dans les réserves de leur banque
centrale. Ils pourront ensuite échanger ces DTS contre des devises réelles et
financer les investissements nécessaires à la transition énergétique. Ceci
contribuera à un compte de substitution et conduira à l’utilisation des réserves de
change pour ce qui est universellement considéré comme un défi pour la planète et
pour l’humanité.
1
http://www.oecd.org/environment/cc/Climate-Finance-in-2013-14-and-the-USD-
billion-goal.pdf
2
http://piketty.pse.ens.fr/files/ChancelPiketty2015.pdf
3. 3
Le FMI sera certainement réticent parce que les DTS n’ont pas été créés pour
cela mais cet instrument mérite d’être utilisé de façon plus flexible. Pendant la
crise financière, le FMI sous ma direction a décidé d’une émission de 161 milliards
de DTS (250 milliards d’USD) qui a contribué à pacifier la situation des marchés de
devises dans le monde.
Les ministres des Finances diront que ceci favorise le « risque moral » et
encourage les investissements à rendement économique et environnemental
incertain. Un tel argument vaut pour toute source de financement externe et aussi
bien pour l’aide au développement; le problème n’est pas la nature de la source de
financement mais l’expertise et la rigueur dont fait preuve le processus de
sélection des projets. L’allocation de DTS n’a pas de conséquence budgétaire si les
banques centrales sont obligées de se séparer de leurs réserves.
Les banquiers centraux argueront que ceci crée une créance potentielle
dangereuse sur leurs réserves de change mais, avec les faibles rendements
d’aujourd’hui, décider de façon multilatérale d’une meilleure utilisation des
réserves est dans l’intérêt de tous. Au demeurant ces inquiétudes sur le
financement monétaire ignorent la distinction de plus en plus floue entre politique
monétaire et politique budgétaire. Ceci apparaitra surement hérétique aux
zélateurs de la rigueur monétaire qui craindront des conséquences inflationnistes.
Mais ceci est une fausse piste; les montants dont il est question qui ne représentent
que 0,15% par rapport au PNB mondial sont négligeables en termes d’inflation et
par ailleurs cette question est sans grande importance si nous pensons vraiment
que le défi climatique menace l’existence de l’humanité.
Les banques de développement s’inquièteront certainement du rôle du FMI et
mettront en cause sa capacité à gérer le Fonds Vert; elles auront raison et c’est
pourquoi le FMI doit uniquement émettre les DTS et ne jouer aucun rôle dans la
gouvernance du fonds. Le processus de sélection et de vérification des
investissements réalisés par chaque pays doit être effectué par une agence dotée
de l’expertise et des ressources nécessaires pour assurer un traitement égal de
tous et pour vérifier que les engagements pris par chaque pays sont atteints.
Enfin, les progressistes feront justement remarquer que l’allocation de DTS
profitera plus aux économies avancées qu’aux économies émergentes et en
développement parce que chaque pays recevra un montant proportionnel à sa
quote-part au FMI. Ceci est exact, bien que les économies avancées puissent
contribuer au Fonds Vert en lui transférant une partie des DTS qu’elles
recevront. Mais cette inégalité est une raison de plus pour mettre en œuvre
parallèlement une taxe carbone progressive.
Cette allocation extraordinaire de DTS est une idée qui n’est ni nouvelle ni folle.
Cela a déjà été fait dans le passé et cela a été proposé à nouveau par le Groupe de
Haut Niveau sur le Climat réuni en 2010 par les Nations Unies3 et qui comprenait
des personnalités aussi éminentes que Larry Summers, George Soros et Nicholas
Stern. Cette question a aussi été étudiée en détail par le FMI4 à l’occasion d’une
note qui a donné lieu à d’importantes discussions au sein de son Conseil
d’Administration. Il est temps de reprendre ce sujet sérieusement.
3
http://www.un.org/wcm/webdav/site/climatechange/shared/Documents/AGF_reports/A
GF_Final_Report.pdf
4
http://www.imf.org/external/pubs/ft/spn/2010/spn1006.pdf
4. 4
Ce courageux pas en avant changerait radicalement la nature des négociations
de Paris et offrirait une chance d’une véritable percée en poussant les pays
émergents et en développement, enfin rassurés sur la crédibilité des promesses
financières de la communauté internationale, à sortir du bois et à s’engager
sérieusement et vigoureusement dans la transition énergétique, la réduction des
émissions et les énergies propres. De surcroît, ceci contribuerait à la reprise de
l’économie mondiale et aux politiques anti-déflation qui sont nécessaires au niveau
mondial. Ceci permettrait aussi de donner une réalité aux récents engagements de
l’Union Européenne en faveur de l’électrification de l’Afrique afin de freiner les flux
d’immigration économique.
Il s’agit là d’une opportunité historique que nous ne pouvons pas manquer.
5. CLIMATE : FRENCH AND ENGLISH VERSIONS
(English version as of 11/27/2015)
Paris Climate Conference : a financing deal
The forthcoming Paris conference on Climate will come at a very tense political
moment, one marked by urgent environmental pressures and concerns about
economic weakness.
Over the last few years, the political backdrop for international cooperation has
deteriorated. Large nations have been divided by geostrategic rifts deeper than
they have ever been since the cold war. The spirit of enthusiastic and existential
international cooperation that was generated by the global financial crisis and that
crystalized at the London G20 Summit has dwindled and the ability to compromise
for the welfare of all seems to be limited.
The urgency of environmental issues has on the other hand increased. Most
official projections now suggest that global warming is well on track to exceed 2
degrees Celsius by 2100 with severe and irreversible consequences for the planet
and for human life. This is not taking account of potential underestimation of coal
related emissions in a number of countries, emission frauds and other
disappointments related to carbon sequestration projects across the world.
Last, some 8 years after the onset of the global financial crisis, the world
economy remains in an anemic state thereby reducing the space for generous and
forward looking policies. Japan is in technical recession despite a very aggressive
expansionary policy. China is undergoing a much needed but slow rebalancing of
its economy that is taking a deep toll on industrial production across the world.
Europe remains marred by its inability to address the crisis of its single currency
and has trapped itself in a macroeconomic policy straightjacket that is fuelling
deflationary forces both inside the euro area and across the world. And the
American recovery, as strong as it might be, cannot pull the entire world out of its
misery.
Yet an ambitious solution has to be found to avoid a repeat of the failed
Copenhagen summit. Despite suggestions by the OECD that progress is well on
6. 2
track1, the objective of raising almost $100 billion per year until 2020 to support
strong policy action to adapt emerging and developing economies is behind target.
Advanced economies are in reality trying to avoid their responsibilities by shifting
some of these commitments to the private sector and to multilateral development
banks. There is in practice no way to arrange a credible and effective co-
investment by the private sector in this deal for two reasons: first, these could be
investments that would have taken place anyways and therefore cannot count
towards a true financial contribution. Second, the private sector cannot commit in
a binding manner so far ahead, so its pledges are likely to turn into a justification
for not meeting the $100bn target ex post. Emerging and developing economies
are therefore right to ask that the financing be provided largely from the public
sector and not at the expense of development aid budgets that are already running
below past commitments.
We all know how the Paris conference will end. At best, members will commit to
providing budgetary resources trying to fulfill the $100 billion target. But pledges
are pledges and in the years to come the much needed resources will likely not
materialize or will be achieved by ingenious double counting.
There is a way out of this deadlock. It requires two bold steps to finance a Green
Fund for adaptation finance that would provide with the resources needed for
emission reduction investments in emerging and developing countries.
First, all participating governments should commit to introduce a progressive
carbon tax. This is the best way to ensure a fair budgetary contribution between
countries and individuals. A recent research by Piketty and Chancel2 crossing
emissions with income distributions showed how the 10% richest individuals
globally produce some 43% of global emissions. The most effective way to address
this for each country is to introduce a national progressive carbon tax and transfer
all or part of its proceeds to the Green Fund.
Second, the international community should ask the International Monetary
Fund to issue a sizeable and recurrent allocation of Special Drawing Rights (SDR)
to meet the remainder of the financing needed for this Green Fund. Effectively, it
would substitute budgetary commitment by the creation of global central bank
liquidity and it would largely benefit emerging and developing countries that
would receive allocations directly as part of their central bank reserves. They
would then be free to exchange these SDR reserves for actual currencies and pay
for the appropriate energy transition investments. This would effectively amount
to a substitution account and that would force the use of global foreign exchange
reserves for what is universally described as a challenge for the planet and for
humanity.
The IMF will certainly be reluctant because the SDR was not originally created
for this purpose but this instrument needs to be used more flexibly. During the
global financial crisis, the IMF decided under my leadership on an extraordinary
allocation of 161bn of SDR ($250bn), which helped assuage foreign currency
liquidity strains globally.
Finance ministers will argue that this will fuel moral hazard and encourage
investments with dubious economic and environmental returns. Such an argument
1
http://www.oecd.org/environment/cc/Climate-Finance-in-2013-14-and-the-USD-
2
http://piketty.pse.ens.fr/files/ChancelPiketty2015.pdf
7. 3
holds for any source of external financing or even for development aid; the
problem is not the source of financing but the expertise and rigor of the
investment process. There are no budgetary consequences to the SDR allocation if
Central Banks are compelled to sell their reserves.
Central Bankers will complain that this creates a potentially dangerous claim on
their foreign exchange reserves, but agreeing multilaterally to a better use of
reserves with currently low returns is in the interest of all, while concerns over
monetary financing ignore the increasingly blurry distinction between monetary
and fiscal policy. This will surely appear heretic to monetary rigorists who will fear
the inflationary consequences. But this is a red herring; the amounts discussed
here in relation to global GDP (less than 0,15% per year) would be negligible for
global inflation and irrelevant if we really believe that the climate challenge we
face is threatening human life on earth.
Multilateral development banks will certainly question the role that the IMF can
play and its inability to manage the Green Fund; they are right and this is why the
IMF will only extend the allocation and play no role in the governance of the fund.
The selection process and the verification of the investments undertaken by each
country should be carried out by an agency with enough expertise and resources
to ensure common standards and that the commitments taken by each country are
met.
Last, progressives will rightly point out that the SDR allocation will benefit
advanced economies more than emerging and developing ones because each
country will receive an allocation that is proportional to its quota share at the IMF.
This is correct but advanced economies could contribute to the Green Fund by
transferring a portion of their SDR allocation and this is why this mildly regressive
solution needs to be accompanied by a progressive carbon tax.
This extraordinary SDR allocation is neither a new nor a crazy idea. It has been
done before and it was proposed again in 2010 by a High Level Group on Climate
Financing of the United Nations3 that included such distinguished members as
Larry Summers, George Soros or Nicholas Stern. It has also been researched
technically by the IMF in notes4 that stirred much discussion in the IMF’s Executive
Board. It is now time to reconsider it seriously.
This bold step would change radically the nature of the Paris negotiations and
offer the chance of a real breakthrough by compelling emerging and developing
nations, once reassured by the credibility of the international community’s
financial commitment, to come out of the shadow and embark seriously and
decisively on energy transition, emission reduction and clean energy. Incidentally,
this would also contribute to the recovery and to the reflationary policies that are
needed at the global level and would help meeting the recent commitments that
the EU has taken towards the electrification of Africa to stem the flow of economic
emigration.
It is an historical opportunity that shouldn’t be missed.
3
http://www.un.org/wcm/webdav/site/climatechange/shared/Documents/AGF_reports/A
GF_Final_Report.pdf
4
http://www.imf.org/external/pubs/ft/spn/2010/spn1006.pdf